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s’était glissé de nuit dans le port. Une torpille mal dirigée n’atteignit pas le remorqueur, mais mit en pièces le dock flottant près duquel la Florence était amarrée. Le bruit de l’explosion donna l’éveil, et un torpilleur, escorté de la Florence, se mit à la recherche du Blanco Encalada, qui, franchissant la passe, attira ses assaillans en dehors, poursuivi par le feu des batteries de la place et la puissante artillerie du remorqueur. Le Blanco Encalada n’ouvrit le sien qu’à courte portée, mais avec tant de précision que ses adversaires firent volte-face pour regagner le port à toute vapeur. Sans se laisser intimider par les volées d’artillerie des forts, le cuirassé s’acharna à leur poursuite ; une bordée bien pointée balaya le pont de la Florence, qu’un obus traversait de part en part et qui coula à pic entraînant dans les flots son équipage. Moins lourd, le torpilleur gagnait de vitesse quand le O’ Higgins le prit par le travers et le coula. Au même moment, les forts concentraient leur feu sur le O’ Higgins, sur le pont duquel une bombe éclatait, tuant une partie de son équipage. Le Blanco Encalada riposta vigoureusement, et son tir, bien dirigé, dégagea le O’ Higgins. Engageant avec les batteries un duel d’artillerie dont il sortit sans avaries, le cuirassé reprit la haute mer, suivi du O’ Higgins, et gagna Caldera, où il devait terminer sa brillante carrière.

Les chefs congressistes avaient compté, sinon pour le remplacer, tout au moins pour combler en partie le vide fait dans leur flotte, sur l’Itata, grand transport à vapeur, chargé d’armes et de munitions, et attendu des États-Unis ; mais le cabinet de Washington, soucieux de sa neutralité, avait fait suspendre le départ de l’Iltata, retenu dans le port de San-Diego. La junte en recevait à peine la nouvelle quand, le 4 juin, l’Itata mouillait en rade d’Iquique. Éludant la surveillance des autorités américaines, le capitaine Mauzum, commandant l’Itata, avait réussi à lever l’ancre et à prendre le large. Poursuivi par le croiseur des États-Unis le Charleston, il l’avait gagné de vitesse et arrivait à Iquique avec 5,000 carabines, 2 millions de cartouches et de grands approvisionnemens. Le Charleston le suivait de près, et, sur la mise en demeure de son capitaine et de l’amiral Mac-Cann, de livrer l’Itata, accusée d’avoir, en violation des lois des États-Unis, transporté des munitions de guerre en pays ami et pour une cause insurrectionnelle, la junte congressiste s’exécuta, soucieuse, avant tout, d’éviter des complications redoutables avec les États-Unis, dont l’intervention maritime en faveur de Balmaceda pouvait être décisive. L’Itata fut remise à l’amiral Mac-Cann, qui ne laissa pas ignorer aux chefs congressistes que cet acte de prompte déférence vis-à-vis des États-Unis pouvait servir de point de départ à des négociations en vue de leur obtenir les droits de belligérans.