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nuls, l’attentat ayant dû être commis à l’instigation de ceux-là mêmes auxquels on les avait accordés.

Rien ne le prouvait. Les coupables, si coupables il y avait, et si toute cette affaire n’était pas une mise en scène destinée à masquer un refus de négocier et à surexciter le zèle des partisans de Balmaceda, étaient introuvables. Mais il n’était pas admissible que les porteurs de sauf-conduits remis par les médiateurs fussent arrêtés et mis en jugement. Ils avaient eu foi dans la parole des ministres de trois grandes puissances sur lesquels rejaillirait l’odieux de ce manquement de foi. Les médiateurs s’empressèrent donc de les aviser personnellement des risques qu’ils couraient et de leur offrir la protection de leurs légations respectives. Revenu à des idées plus sages, le gouvernement s’excusa, le lendemain, de ces mesures prises ab irato ; les délégués furent transférés à bord du navire de guerre des États-Unis le Baltimore, qui les transporta au Callao, nonobstant leurs protestations.


II

Ces négociations, avortées avant même d’être ouvertes, n’étaient pas pour ralentir les opérations militaires. Celles-ci se poursuivaient, sur terre et sur mer, avec des alternatives diverses ; mais, malgré quelques succès partiels, il était visible que Balmaceda perdait du terrain, que ses partisans se décourageaient, que le nombre de ses adversaires croissait. Un moment, sa fortune parut se relever. A la fin d’avril, le cuirassé Blanco Encalada, l’un des plus redoutables navires de la flotte congressiste, était mouillé dans le port de Caldera, situé sur la côte d’Atacama, lorsqu’il fut attaqué à l’improviste par le Lynch et le Condell. Le combat fut court, mais sanglant. Assailli par les torpilleurs avant d’avoir pu lever l’ancre, le Blanco Encalada, après une vigoureuse résistance, fut coulé bas. Il avait à son bord le secrétaire de la marine, don Valdez Vergara ; les lieutenans Pacheco, Soto Aguilar, Guzman, et un nombreux équipage, dont on ne put sauver qu’une centaine d’hommes ; plus de deux cents périrent dans le combat et le naufrage.

En perdant le Blanco Encalada, le parti congressiste perdait beaucoup. Le hardi coup de main tenté par ce cuirassé, escorté du O’ Higgins, sur Valparaiso, quelques jours avant sa destruction, avait causé dans ce port la plus vive alarme. Apprenant que le gouvernement avait nolisé un puissant remorqueur, la Florence, et l’avait converti en navire de guerre, le capitaine du Blanco Encalada