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autre ordre d’idées, il activa l’amélioration des ports et la construction des voies ferrées. Nonobstant ces dépenses, les excédens de recettes persistaient : 130 millions en 1887,125 en 1888, 155 en 1889. Idole des classes populaires, il s’entendait proclamer le Washington du Chili, le premier des hommes d’État de l’Amérique du Sud, le président dont le nom vivrait à jamais dans la mémoire de ses compatriotes.

Que se passa-t-il alors dans l’esprit et dans l’âme de cet homme arrivé aussi haut qu’il pouvait monter, et auquel la fortune avait réservé cette suprême jouissance de désarmer les haines et de confondre l’envie, compagnes inséparables du succès ? Quelle influence néfaste vint obscurcir cette intelligence, jusqu’alors si lucide, égarer cette volonté si maîtresse d’elle-même ? On a cru la trouver dans l’empire pris sur lui par Enrique Sanfuentes, l’un de ses ministres, mais cette hypothèse est démentie par le fait qu’il sacrifia, bien que trop tardivement, Sanfuentes aux objurgations de ses amis. Un écrivain compétent et bien au courant des choses du Chili a raconté, ici même[1], l’origine du conflit qui tout à coup surgit entre le président et le congrès, coup de tonnerre dans un ciel serein, prélude de la guerre civile qui allait ensanglanter le Chili. Nous n’y reviendrons que pour résumer les causes de ce conflit, dont la connaissance importe à la suite de ce récit.

De même que don Domingo Santa-Maria avait fait choix de Balmaceda, son ministre, pour lui succéder comme président et avait mis au service de ses hautes visées son influence officielle, de même, Balmaceda entendait intervenir dans le choix de son successeur. Il avait à cœur l’exécution de ses plans et l’achèvement des grands travaux d’utilité publique entrepris par lui. Il avait hâte de les mener à bonne fin et il tenait pour regrettable la disposition constitutionnelle qui s’opposait à la réélection d’un président en exercice. Telle était sa popularité, qu’il ne doutait pas que ces regrets ne fussent partagés par la majorité des électeurs et que la désignation qu’il ferait de l’homme appelé à le remplacer ne fût ratifiée par eux. Cet homme était don Enrique. Sanfuentes, son ministre de l’industrie et des travaux publics. Par suite des grands projets d’ordre intérieur conçus par Balmaceda, ce ministère secondaire avait pris une importance considérable, et son titulaire la première place dans le cabinet. Balmaceda voyait dans Sanfuentes, que sa faveur avait appelé au pouvoir, que son influence pouvait élever au premier rang, et dont le dévoûment lui était acquis, l’instrument nécessaire pour continuer son œuvre. Homme nouveau, lui

  1. Voyez la Revue du 15 juin.