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panorama mouvant qui se déroule sous nos yeux. L’historien narre les faits et, de ces faits, déduit des lois générales. Celle qui s’impose dès le début de cette étude, celle que l’histoire a tant de fois mise en relief saisissant, c’est que l’excessive prospérité est, pour les peuples comme pour les individus, la plus redoutable des épreuves.


I

Don José Manuel Balmaceda naquit à Santiago, en 1840, d’une de ces familles riches et d’antique origine qui constituent l’oligarchie chilienne. Ses ancêtres avaient occupé d’importantes situations et joué un rôle dans les affaires de la République. On le destinait à la prêtrise et, dans ce dessein, on le fit élever au séminaire Concilias où il reçut une forte éducation ecclésiastique ; mais il était, par nature, un homme d’action, ardent, passionné et, d’instinct, porté vers la politique. Il s’y prépara en échangeant le séminaire pour l’université, où il acheva ses études, et il débuta dans sa carrière en se faisant recevoir membre du club de la Reforma, fréquenté alors par la jeunesse libérale de Santiago. Du premier coup il y révéla des dons remarquables comme orateur persuasif et brillant, des qualités de polémiste incisif et redoutable ; aussi devint-il, en peu de mois, l’idole de la jeunesse de Santiago, l’homme en vue dont la réputation franchit rapidement les étroites limites dans lesquelles elle naquit. A vingt-huit ans, Balmaceda, connu et populaire, était désigné comme le chef de l’un des trois partis politiques qui se disputaient le gouvernement de la république.

Il représentait le parti libéral, déjà le plus nombreux au congrès, bien que tenu en échec par la coalition des conservateurs et des nationaux. Les idées avancées des libéraux, qui se recrutaient surtout parmi les jeunes gens sortis de l’université et des collèges, alarmaient le parti conservateur, composé de capitalistes, de grands propriétaires, des hauts dignitaires de l’Église et des fonctionnaires en place, et aussi le parti national, autour duquel se groupaient les commerçans, les avocats et hommes de professions libérales. Si, sur certains points, le parti national sympathisait avec les libéraux, il redoutait leurs théories trop absolues, leur intransigeance et leurs réclamations bruyantes. Il voulait des réformes, non une révolution, une révision, non un changement complet de la constitution de 1833, à laquelle il estimait que le Chili était redevable de sa prospérité.

Élu député par sa ville natale en 1868, Balmaceda justifia, au