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longue période d’années ne faudra-t-il pas si l’on doit en attendre la floraison ! A cet égard il est aussi muet que l’ont toujours été les différens ministres de la reine. Si ce n’est pas l’occupation indéfinie que l’on veut, c’est donc l’occupation prolongée sine die ; la chose est la même, elle ne diffère que par les mots.

Un grand gouvernement, comme celui de l’Angleterre, n’obéit pas aveuglément aux incitations de vues purement ambitieuses ; il sait ce que ses devoirs lui commandent et il ne les méconnaît pas légèrement. Quelles influences, quels obstacles l’empêchent de s’y conformer en cette affaire ? Rien n’a révélé sa pensée intime, mais s’il est une chose certaine, c’est que l’opinion publique, de l’autre côté de la Manche, a pris parti et qu’elle blâmera le ministère qui abandonnera la position conquise sur une terre qui est le trait d’union entre l’Inde et l’Europe, et dont l’ouverture du canal de Suez a fait, en quelque sorte, la porte de son vaste empire asiatique. Partageant cette disposition, la presse de Londres ou la plupart de ses organes n’ont cessé de la propager depuis l’origine de l’occupation ; quand M. Gladstone, au mois d’août 1882, répudiait hautement toute pensée déloyale, le Times soutenait déjà que le sort des armes avait placé l’Egypte sous le protectorat de l’Angleterre et qu’elle se devait à elle-même de l’exercer sans craindre d’en assumer toutes les conséquences. Le journal de la Cité, d’accord avec le plus grand nombre des feuilles anglaises, n’a cessé de défendre cette thèse. Il a applaudi à l’échec de la conférence réunie à Londres, félicitant lord Granville de l’énergie avec laquelle il avait combattu la proposition d’une enquête collective et contradictoire sur les charges et les ressources du gouvernement égyptien, le félicitant surtout d’avoir ainsi écarté toute participation étrangère et rendu à la Grande-Bretagne son entière liberté.

Dans un pays de libre discussion, il faut au gouvernement une ferme volonté et un profond désintéressement pour braver l’opinion publique quand elle se manifeste aussi énergiquement. Le cabinet tory est-il animé de ces dispositions ? Ce que nous pouvons en dire, c’est que l’appui du pays semble lui échapper, si l’on en juge par les élections partielles des deux dernières années, et qu’il redoute l’issue des élections générales. Il est donc vraisemblable qu’il s’abstiendra de prendre une détermination qui fournirait de nouvelles armes à ses adversaires. Il y est, à vrai dire, autorisé par les dissentimens qui divisent les puissances continentales. Si des questions d’un intérêt plus intense ne les séparaient, elles se seraient probablement concertées pour mettre l’Angleterre en demeure d’exécuter ses promesses. Seule, la Turquie,