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action devient nécessaire ; » il se montre rebelle, au contraire, à toute obligation étroite, à toute combinaison qui engagerait le drapeau de l’Angleterre, dès qu’il redoute l’avènement d’un nouveau ministère dont il ne peut pressentir les dispositions. Il préfère attendre.

Il n’attendit pas longtemps. Le premier soin de M. de Freycinet, succédant à Gambetta, fut de déblayer le terrain de tous les engagemens pris avec ou par son prédécesseur ; il les crut compromettans parce qu’il les jugeait inconciliables avec les dispositions de la majorité de la chambre. « Il répugnait à l’emploi des moyens coercitifs ; il n’était pas moins contraire à l’envoi de troupes turques en Égypte. » Dès le lendemain de son arrivée au pouvoir, il s’expliqua en ce sens, et sans réserve, avons-nous vu, avec l’ambassadeur d’Angleterre. Ces dispositions s’accordaient parfaitement avec celles du cabinet de Londres, et lord Lyons s’empressa de lui en donner l’assurance. Chacun reprenait son entière liberté, et il ne restait, de toutes les négociations antérieures, qu’un désir, sincère de part et d’autre, voulons-nous croire, mais n’ayant plus désormais qu’un objet vague ou mal défini, celui de s’entendre du mieux que l’on pourrait. En réalité, on s’était mis rapidement d’accord sur ce qu’on ne voulait pas, laissant à déterminer ce qu’on voulait ; c’était inaugurer la politique du far niente ou de l’impuissance. Comme son prédécesseur, M. de Freycinet désirait s’appuyer sur l’alliance anglaise ; mais son esprit était bien plus dominé par les difficultés d’ordre intérieur, par la multiplicité et la dissemblance des opinions qui divisaient la chambre, que par les préoccupations que lui inspirait la question égyptienne. Se concilier les sympathies de la majorité, en tenant compte de sa répugnance pour toute compromission extérieure, lui parut être le premier de ses devoirs, celui qu’il devait remplir avant tout autre afin de se conduire en parfaite harmonie avec elle et de conquérir son appui. Il avait une autre conviction qu’il partageait avec une partie considérable de l’assemblée ; il estimait qu’une démonstration armée rencontrerait en Égypte une résistance énergique et que, pour la vaincre, il faudrait y employer des forces importantes, qu’en y participant la France serait tenue d’y consacrer une portion notable de son armée et s’exposerait, outre d’autres dangers, à celui de compromettre l’œuvre, encore inachevée, de sa réorganisation militaire. C’est ainsi qu’il a retenu et poursuivi sans relâche l’accord avec l’Angleterre pendant qu’il renonçait résolument aux moyens d’en obtenir les résultats qu’on pouvait en espérer, se persuadant que l’action diplomatique des deux puissances suffirait au succès de leur tâche.

Le cabinet anglais ne s’est jamais bercé des illusions dont on se