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intervenans. Ces éclaircissemens n’auraient laissé aucun prétexte à un dissentiment, et il eût été d’autant plus facile de le prévenir qu’on n’aurait fait, à Paris comme à Londres, aucune difficulté d’admettre le concours de toute puissance qui aurait voulu participer à cette action. Enfin l’union de la France et de l’Angleterre, en cette affaire, aurait noué, entre les deux pays, une solidarité de nature à exercer une salutaire influence sur quiconque aurait conçu la pensée de saisir le moment où nous aurions été engagés en Égypte pour menacer nos frontières. La France avait-elle, au surplus, à faire un grand effort, à y employer des forces considérables ? Se serait-elle exposée à compromettre, outre la défense de son territoire, l’œuvre de notre réorganisation militaire ? Opérant de concert avec l’Angleterre, il lui aurait suffi d’envoyer en Égypte un corps de troupes peu nombreux ; l’événement a prouvé qu’il aurait aisément rempli sa tâche, et le succès de l’expédition commune eût été plus rapide et plus certain au moment où Gambetta la conseillait que celui remporté par l’Angleterre six mois plus tard sans notre assistance. Mais cet effort lui-même, si peu compromettant qu’il pût être, n’exigeait pas moins, à Paris comme à Londres, des ministres possédant l’entière confiance des chambres et pleinement autorisés à disposer, au moment opportun et par une prompte décision, des moyens propres à en garantir le succès. Cette situation ne fut pas longtemps celle du cabinet présidé par Gambetta ; formé sous les plus heureux auspices, il se vit bientôt menacé d’une dissolution prochaine. Le gouvernement britannique ne tarda pas à s’en convaincre et il se hâta, on se le rappelle, de ressaisir sa liberté d’action, jugeant imprudent de coopérer à une pareille entreprise avec un allié qui pouvait s’effacer d’un instant à l’autre. L’Angleterre aurait-elle persévéré dans ses engagemens si le parlement en France eût soutenu le ministère de Gambetta et partagé ses vues ? Nous avons cité, à cet égard, le témoignage de M. Waddington ; voici ce que, de son côté, en pensait un membre de la chambre des députés non moins compétent : dans la discussion du 18 juillet 1882, M. Francis Charmes attribuait notamment à la chute imminente du cabinet français les hésitations de celui de Londres, qui ne pouvait prévoir quelle serait la politique de ses successeurs : a Aussi, disait-il, dans les dernières conversations de M. Challemel-Lacour avec lord Granville, ce dernier remet-il sa réponse à quatre jours[1] ; il demande le temps de causer avec M. Gladstone ; il va à la campagne. Pourquoi emploie-t-il ces délais et ces retards ? C’est parce qu’il savait très bien que

  1. Voyez, page 54, les extraits de la correspondance de Gambetta avec M. Challemel-Lacour.