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puissances, « le gouvernement ottoman, disait-elle, espère qu’en face de cette détermination, l’occupation étrangère actuelle en Égypte sera abandonnée aussitôt que les troupes turques seront rendues à Alexandrie. » Elle chargea son ambassadeur à Londres de s’expliquer dans le même sens avec lord Granville. Le gouvernement anglais, lui fut-il répondu, veut bien agréer, et c’est tout ce qu’il peut faire, la coopération de la Turquie, mais encore faudra-t-il que « le caractère en soit défini d’une manière satisfaisante et dégagée de toute ambiguïté par des déclarations préalables du sultan. » Ces réserves impliquaient un refus déguisé. Par cela même, au surplus, la conférence se trouva en quelque sorte dessaisie de la mission qui lui avait été confiée ; on le comprit si bien, que quelques-uns de ses membres discontinuèrent leur participation, celui de la Russie notamment, « parce qu’on discutait dans le vide, disait M. de Giers à notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, tandis qu’en dehors de son action de graves mesures militaires étaient prises[1]. » L’Angleterre, en effet, réunissait en Égypte une puissante armée, ne dissimulant plus sa ferme intention de briser la résistance que lui opposait Arabi-Pacha et de marcher sur le Caire. Pendant que les troupes anglaises se concentraient sous le commandement du général Wolseley, la Porte s’épuisait en efforts laborieux pour se procurer, à l’aide d’un emprunt, les deux ou trois millions de francs qui lui étaient indispensables afin de mettre en état de prendre la mer les navires désignés pour transporter à Alexandrie le corps expéditionnaire[2]. Disons, pour en finir avec ces lamentables incidens, que l’Angleterre mit à la coopération de la Turquie, soit pour les effectifs, soit pour le commandement supérieur, des conditions qui lurent l’objet de négociations dilatoires, si bien qu’on les débattait encore quand l’armée égyptienne lut défaite ou plutôt se débanda à Tell-el-Kébir. On fut plus prompt, à dater de ce moment, pour se concerter et reconnaître qu’il n’y avait plus lieu, pour la Turquie, d’intervenir en Égypte, l’ordre y étant solidement rétabli. L’Angleterre avait vaincu, d’un côté, sans le concours de la puissance suzeraine et en la tenant éloignée ; de l’autre, sans mandat de l’Europe et sans avoir contracté envers elle aucun engagement défini, et elle prenait possession de l’Égypte en gardant l’entière liberté de ses mouvemens ultérieurs. Si telle a été sa pensée au moment où elle a renoncé à agir solidairement avec la France, il faut reconnaître qu’elle l’a poursuivie avec une ingénieuse habileté et heureusement réalisée.

  1. Dépêche de l’amiral Jaurès du 2 août.
  2. « Onze bâtimens ont décidément reçu l’ordre de se tenir prêts à embarquer les troupes ; mais le charbon manque. La Porte cherche à négocier un emprunt de 100,000 livres turques… » — (Dépêche du marquis de Noailles, 1er août.)