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à son tour qu’il ne pouvait accepter la proposition qui y était contenue, et à l’heure qu’il avait fixée, il fit attaquer tous les forts simultanément. Le lendemain, 12 juin, Arabi-Pacha, qui était venu se mettre à la tête des troupes, donna prudemment l’ordre d’évacuer la ville, et les mêmes bandes qui, le 11 juin, s’étaient livrées au meurtre et au pillage, renouvelant leurs exploits, purent impunément incendier le quartier européen après en avoir saccagé les demeures.

Quel fut le rôle du khédive et du commissaire de la Porte en ces douloureuses circonstances ? Ils s’étaient retirés tous deux à Ramleh, résidence d’été, à quelques kilomètres d’Alexandrie. Ont-ils pris une part quelconque aux communications échangées avec le commandant de l’escadre anglaise ? Nous ne saurions le dire, mais tout porte à croire qu’ils y sont restés étrangers, laissant aux ministres la responsabilité de leurs déterminations. Quoi qu’il en soit, dès le 13, Tewfik, en proie aux plus légitimes inquiétudes pour sa sûreté personnelle, s’abrita sous le pavillon britannique. Après s’être assuré de l’assentiment de l’amiral Seymour, il rentra furtivement dans la ville et vint occuper le palais de Ras-el-Teen, l’ancienne demeure de Méhémet-Ali, gardé par un détachement de matelots débarqués dans la matinée. Dervish-Pacha, de son côté, jugeant que les vaisseaux de l’Angleterre avaient mis fin à sa mission, reprit la mer peu de jours après, pour rentrer à Constantinople. A peine était-il sorti du port qu’il arrivait pour lui une dépêche de la Porte, qu’on aurait voulu lui remettre. « J’ai vainement, dit l’amiral anglais, fait tirer deux coups de canon de rappel. » Le yacht impérial, qui emmenait le représentant du sultan, n’en tint aucun compte et continua sa route.

Ainsi, à la première rencontre, dès que la force intervient, que voyons-nous ? Le khédive fait sa soumission en se mettant respectueusement, de sa personne, sous la protection de l’Angleterre ; le commissaire de la Porte, venu pour rétablir l’ordre au nom de son maître, disparaît en prenant la fuite, sans protester, oubliant toutes les traditions de son gouvernement ; quant à l’altier ministre de la guerre, il s’éloigne avec ses troupes, livrant la ville aux incendiaires, n’osant pas la défendre contre une flotte dépourvue de troupes de débarquement, qui ne pourra elle-même en prendre possession qu’à l’arrivée des renforts attendus de Malte et de Chypre.

Faut-il dire quelle fut l’attitude commandée à notre escadre, ce que devint notre consul-général pendant ces tristes journées ? Si le cabinet de Londres n’a pas confié sa pensée tout entière au cabinet de Paris, il ne la lui a pas dissimulée. Il lui a fait savoir en effet que la flotte anglaise, mouillée devant Alexandrie, braverait les