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« Croyez, madame, à travers mes dissidences d’idées, à ma sincère sympathie pour une âme si douloureuse, et agréez mes bien respectueux sentimens. »

Fut-ce ce premier rayon de gloire qui dissipa les nuages sombres et ramena la sérénité dans cette âme orageuse ? Y eut-il tout simplement réaction de la nature contre une existence factice de solitude et de sauvagerie ? Ce qui est certain, c’est que, peu après la publication des Poésies philosophiques , Mme Ackermann modifia son genre de vie. Elle quitta sa Lanterne et vint s’établir à Paris, rue des Feuillantines, auprès de sa sœur Mme Fabrègue. Avait-elle besoin, pour composer, de cette concentration de pensée qui n’est guère possible que dans la solitude ? Avait-elle dit tout ce qu’elle avait à dire, et sa veine était-elle épuisée ? Quoi qu’il en soit, à partir de cette époque, elle n’a presque plus rien écrit. Quelques pièces de vers qu’elle inséra dans une nouvelle édition de ses poésies en 1885, un petit volume : Pensées d’une solitaire , qui sont tirées d’un recueil beaucoup plus volumineux que j’ai eu entre les mains, et précédées d’une autobiographie, sont tout ce qu’elle a produit en dix-sept ans. Les rares personnes qui ont vécu pendant ces années dans son intimité m’ont assuré que l’âpre poète était devenu une vieille femme de caractère accommodant, d’humeur assez enjouée, prenant la vie comme elle venait, et beaucoup moins pessimiste dans ses propos que dans ses vers. Il y avait contraste entre le caractère et l’esprit, comme entre l’existence et l’œuvre. La poésie était âpre, mélancolique, élevée : la vie, et disons-le, la nature était tranquille et un peu bourgeoise, comme l’aspect. Ajoutons, pour la bien faire connaître, que sur la règle morale elle était inflexible. « La sévérité de ma morale, disait-elle, n’est pas le résultat logique de mes principes, mais l’effet immédiat de ma nature ; je ne raisonne pas la vertu. » Peut-être lui eût-on causé en effet quelque embarras, si on lui eût demandé sur quels fondemens s’appuyait cette morale, quelles lois en constituaient l’obligation, quelle en était la sanction. Mais la nature humaine a souvent de ces contradictions, et elles ne sont pas moins fréquentes au détriment qu’au profit de la morale. Mme Ackermann en voulait aux femmes affranchies, comme elle, du joug de la religion, de compromettre assez fréquemment la liberté de leur esprit par celle de leurs mœurs, et elle en témoignait souvent sa mauvaise humeur. Chose singulière ! cette femme, à la pensée audacieuse, avait du rôle social des femmes, et de leur capacité intellectuelle, une opinion modeste. Rien ne l’impatientait comme la revendication de leurs prétendus droits. « Quand, disait-elle, on ouvrirait aux femmes les portes de toutes les libertés, comme quelques-unes le réclament, les honnêtes et les sages ne voudraient