Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son nom de celui de Mme Ackermann, pourrait seul dire ce qu’il en coûte de se livrer à ce travail. Les heures de la nuit s’écoulaient sans qu’elle eût conscience de leur passage, et les étoiles brillaient depuis longtemps au ciel lorsqu’elle levait la tête pour la première fois. Parmi ces étoiles il y en avait une, plus brillante que les autres, qui semblait la regarder. « Si je la comprends, a-t-elle écrit dans son journal, elle a pitié de mes labeurs à l’entour d’un passage ou d’une rime. A quoi bon cela ? semble-t-elle dire. Hélas ! j’ai eu bien souvent la même pensée qu’elle, car on peut, sans être une étoile et sans regarder les choses d’aussi haut, prendre en pitié l’imperceptible résultat des efforts humains. » Une sorte d’insomnie fiévreuse succédait à ces heures d’exaltation. Les heures de la nuit s’écoulaient lentes et sans bruit dans cette maison inhabitée, dans cette campagne solitaire. Au sein de cet isolement et de ce silence, elle écoutait avec plaisir marcher son horloge, et le bruit régulier du balancier lui faisait l’effet des battemens d’un cœur. « Il me semble, disait-elle, que j’entends respirer le Temps. »

Le fruit de ces onze années de solitude, de labeur et peut-être aussi d’angoisses, fut un petit volume où chaque pièce est en quelque sorte le dénoûment d’un drame intellectuel et moral. Aussi les accens de la souffrance se mêlent-ils aux cris de révolte. « J’étais, nous a-t-elle dit, de nature religieuse ; » mais, si la nature était religieuse, l’esprit ne l’était pas, et c’est précisément à cause de ce désaccord que le cœur proteste contre les conclusions de l’esprit et que le livre n’est qu’un long blasphème. Le blasphème lui-même, lorsqu’il est sincère, lorsqu’il n’est point déclamation littéraire et réclame de librairie, demeure encore une des formes de la foi. Car on ne maudit que ce qui existe, et on ne s’emporte point contre des fantômes.

Quelques-unes de ces pièces sont cependant d’une inspiration relativement sereine : ce sont celles où l’auteur développe la vieille théorie panthéiste qui inspirait autrefois le poète Manilius lorsqu’il chantait la nature puissante d’un esprit caché et un Dieu répandu dans le ciel, dans la terre, dans la mer :


… Tacita naturam mente potentem Infusumque Deum cœlo terraque marique.


Cette doctrine philosophique qui divinise la matière et qui vient en aide à beaucoup de nobles esprits pour échapper à des doctrines abaissantes était celle à laquelle elle avait fini par se rallier : « Je déteste, écrivait-elle à son neveu M. Fabrègue, le pur matérialisme. Le philosophe que je te recommande, puisque tu fais