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trouve encore, dans une traduction libre de la Coupe du roi de Thulé, des vers expressifs pour rendre cette dernière tristesse :


Coupe des souvenirs qu’une liqueur brûlante,
Sous notre lèvre avide, emplissait jusqu’au bord,
Qu’en nos derniers banquets d’une main défaillante
Nous soulevons encor,
Vase qui conservais la saveur immortelle
De tout ce qui nous fit rêver, souffrir, aimer,
L’œil qui t’a vu plonger sous la vague éternelle
N’a plus qu’à se fermer.


M. Catulle Mendès a exprimé le même sentiment dans des vers d’un rythme différent :


Après l’angoisse et la folie,
Comme la nuit après le soir,
L’oubli m’est venu ; car j’oublie
Et c’est mon dernier désespoir,
Et mon âme aux vagues pensées
N’a même pas su retenir,
De toutes ses douleurs passées,
La douleur de s’en souvenir.


De si loin la rencontre est curieuse, mais pour différentes qu’aient été les vies, le fonds des tristesses est commun chez tous les enfans des hommes.

Ce second volume ne passa pas aussi complètement inaperçu que le premier. Sainte-Beuve en parla et cita même dans ses Lundis deux belles strophes qui terminent l’ode à Musset. Des amis communs avaient prêté le volume à Mme d’Agoult, et Mme Ackermann, qui ne l’avait jamais vue, recevait d’elle une lettre émue. Enfin, elle recueillait ces témoignages de sympathies inconnues qui sont (quiconque a tenu la plume ne me contredira ’pas) la meilleure récompense des auteurs. Elle raconte assez plaisamment dans une lettre qu’un admirateur anonyme lui écrivait du Mans, la traitant de maître philosophe, de maître poète, et qu’il terminait sa lettre en l’appelant Vates, Ce n’était pas encore la gloire ; mais c’en était déjà les prémices. Encore quelques années, elle allait y entrer à pleines voiles.


III

Onze années séparent la publication des Contes et Poésies des Poésies philosophiques. Pendant ces années, Mme Ackermann vécut de nouveau de cette vie solitaire et un peu bizarre de