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Ce premier volume de contes parut en 1855. Il resta, c’est elle-même qui le raconte, en magasin. Cependant il lui valut certaines relations littéraires, entre autres celle de Béranger que, pendant un court séjour à Paris, elle alla voir plusieurs fois. Ce que Béranger et Mme Ackermann purent bien se dire est assez difficile à imaginer. Sainte-Beuve l’accueillit également avec bienveillance. Quant à M. Nisard, il trouva le ton de ces contes trop léger pour une femme. Elle aurait bien voulu quelques articles dans les journaux, mais ils ne vinrent point, et, au bout de quelques semaines, elle s’en retourna à la Lanterne planter ses mûriers.

Neuf ans après, elle fit paraître un second volume. Celui-là contient encore quelques contes, mais aussi d’autres pièces d’une inspiration plus personnelle. On sent, à travers ces nouveaux vers, un esprit qui a réfléchi et une âme qui a souffert. Quelques-unes étaient des pièces de sa jeunesse dont j’ai cité quelques fragmens, écrites sous l’inspiration de ses premières mélancolies. D’autres, au contraire, en très petit nombre, dataient des années qui avaient suivi son malheur et traduisaient en termes d’une éloquente concision l’âpreté de sa douleur. D’autres enfin laissaient déjà pressentir la tournure philosophique qu’avait prise son esprit et rendaient avec énergie le dégoût et la haine de la vie qui s’étaient emparés de son âme, haine toute philosophique, car dans la réalité des choses, elle prenait grand soin de sa santé, suivait un régime très strict, redoutait le choléra et fuyait les épidémies. Parmi ces pièces, une des plus belles est intitulée les Malheureux. La trompette du jugement dernier a retenti ; les morts se lèvent en foule de leurs tombes en tr ouvertes et se précipitent vers cette vie nouvelle qui s’offre à eux. Seuls quelques malheureux ne veulent pas quitter leurs cercueils. Ils se refusent à renaître, à revoir le ciel et la lumière qui sur leurs douleurs et sur leurs misères ont souri sans pitié. Ils demandent à la nuit de les garder sous son ombre et à la mort de ne pas les livrer. Leur vie n’a été qu’un long supplice. La jeunesse a passé près d’eux les mains vides ; les sources de l’amour ont tari sous leurs lèvres ; pas une fleur ne s’est entr’ouverte dans leur sentier. S’ils cherchaient quelque soutien, l’appui se brisait sous leur main. A chaque endroit sensible ils portaient une plaie, et le hasard savait où les frapper. Aussi refusent-ils d’entrevoir les splendeurs du royaume céleste et ils ne veulent pas du prix de leurs douleurs. Le paradis qui s’ouvre devant eux n’a rien qui les tente :


Nous le savons, tu peux donner encor des ailes
Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd ;
Tu peux, lorsqu’il te plaît, loin des sphères mortelles,
Les élever à toi dans la grâce et l’amour ;