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de l’inconnu, fassent défaut en manœuvres à l’expérience du haut commandement, cela est inévitable ; l’amour-propre le plus violemment surexcité ne sera jamais pour le sang-froid une pierre de touche suffisante. Les opérations de l’Est n’ont donc donné à cet égard que des indications tout à fait incomplètes : le calme méthodique de tels ou tels généraux était aussi bien connu en haut lieu avant les manœuvres que la nervosité brouillonne ou l’apathie de tels autres chefs. Ces opérations, en revanche, ont démontré une fois de plus l’impérieuse nécessité qui s’impose de rajeunir, en certaine de ses parties, le commandement.

On a déjà montré que l’ensemble du commandement avait fonctionné, pendant les manœuvres, au-delà des espérances de ceux-là mêmes qui l’ont organisé. L’impulsion venue d’en haut, du généralissime d’abord, des commandans des armées de l’Est et de l’Ouest, a été si forte, si active, si continue, qu’elle a tout vivifié, remué, secoué, et que les plus fatigués ont retrouvé un reste de vigueur. Mais si l’effort a été visible chez quelques-uns et s’il a pu se prolonger pour ceux-là jusqu’à la revue finale de Vitry, au milieu des fatigues relativement très modérées des manœuvres, il est manifeste qu’il n’aurait pas résisté à huit jours de campagne effective. Il n’était pas besoin, d’autre part, de se reporter à l’Annuaire pour savoir l’âge des officiers généraux dont les brigades et les divisions se présentaient sur le terrain de bataille et poussaient leurs marches avec la plus belle prestance et l’entrain le plus martial : c’étaient les plus jeunes qui les commandaient. Et je n’entends certes pas dire que l’âme des plus anciens soit moins patriote et moins militaire que celles de leurs cadets ; je dis seulement qu’elle est plus vieille. Elle possède encore, le plus souvent, la volonté et l’ardeur, mais habitant des corps plus usés et plus accessibles à la fatigue et à la maladie, elle n’a plus le même pouvoir de passer des pensées aux actes. Je constate, en outre, — et qui le contestera ? — que la plupart de ces vétérans ont été élevés à une école qui n’a jamais été, d’un aveu aujourd’hui unanime, une bonne école de guerre, où les connaissances exigées sur le papier étaient déjà insuffisantes, où le travail, parfois mal conçu et mal dirigé, ne permettait même pas toujours d’acquérir ces connaissances élémentaires, où la routine régnait en maîtresse. Il faut saluer ces vieux soldats qui, malgré les défauts de leur éducation militaire, malgré les vices des institutions dont ils sont restés les représentans, ont fait avec courage leur devoir sur les champs de bataille et ont servi avec honneur et fidélité pendant la paix. Il faut les saluer et leur rendre hommage. Mais si l’intérêt de l’armée prime toute autre considération, il faut les remplacer, — et les remplacer au plus tôt, — dans leurs commandemens actifs.