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ou de défense sociale que M. de Bismarck avait fait voter contre lui et qui, sans l’affaiblir beaucoup, l’obligeaient à une certaine action secrète, il a retrouvé sa liberté depuis que ces lois ont été sinon définitivement abrogées, du moins suspendues. Il existe aujourd’hui au grand jour. Il a son organisation, ses chefs, son comité directeur, ses députés au parlement, ses moyens de propagande, ses congrès. Les socialistes allemands se sont réunis l’an passé pour la première fois à Halle ; ils viennent de se réunir ces jours derniers à Erfurt pour discuter le programme, la tactique et les intérêts du parti. Que sortira-t-il, que reste-t-il dès maintenant de ce congrès d’Erfurt ? C’est précisément la question ; elle est assez compliquée au premier abord ; elle reste d’autant plus obscure que, si les socialistes de l’Allemagne ne sont pas en désaccord sur le programme du parti, sur les revendications sociales, ouvrières, auxquelles ils se rallient, ils sont singulièrement divisés sur la manière de conduire la campagne, sur le caractère, l’étendue et les procédés de l’action socialiste.

Ces divisions, elles ont éclaté dans le congrès d’Erfurt avec une sorte d’âpreté et elles ne laissent pas d’être profondes. Les chefs du parti, les organisateurs du congrès, M. Singer, M. Bebel, M. Liebknecht, sont restés sans doute, comme on dit, maîtres de la situation ; ils ont eu la majorité et le vote pour tout ce qu’ils ont proposé. Ils se sont trouvés néanmoins, dès la première heure, aux prises avec des oppositions de diverse nature. La plus violente de ces oppositions est celle des jeunes socialistes, M. Werner, M. Wildberger, M. Auerbach, qui accusent les chefs du parti d’être tout simplement des bourgeois, des satisfaits, de se prêter à toutes les transactions, de ne pas oser élever le drapeau du socialisme révolutionnaire et universel, de reculer devant l’insurrection ! Ces jeunes socialistes rutilans ont été à la vérité traités avec peu d’égards ; ils ont été exclus sommairement et ils se sont retirés en protestant, pour aller se réunir à Berlin. Ce n’est sans doute encore qu’une minorité : la scission n’a pas moins son importance pour un parti qui vit par les passions populaires. D’un autre côté, ce socialisme teuton qui vient de tenir ses assises à Erfurt, a sa droite, représentée par un député de Munich, ancien officier, M. de Vollmar, qui n’a pas ménagé beaucoup plus les chefs du parti, qui les accuse pour son compte de tout sacrifier à l’absolu, de ne pas savoir se contenter de concessions partielles et de s’épuiser dans une opposition stérile. M. de Vollmar s’est prononcé pour la politique de transaction, de conciliation avec le gouvernement. Il s’est surtout déclaré ardent nationaliste, prêt à tout subordonner à l’intérêt allemand, assez disposé à s’incliner devant la triple alliance. Le député de Munich semble être un socialiste qui ne serait pas loin de s’entendre avec l’empereur Guillaume. Chose curieuse ! les chefs du congrès d’Erfurt, M. Bebel, M. Liebknecht, se sont montrés aussi intolérans, aussi âpres à l’égard