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l’absence ne les sépareront pas davantage. Le drame intérieur achevé, nous n’avons plus rien à dire, puisque du chef-d’œuvre autrement envisagé naguère[1], nous n’avons voulu dégager aujourd’hui que l’originalité morale et la plus idéale beauté.

Le meilleur interprète de Lohengrin à l’Opéra, c’est l’orchestre. M. Lamoureux lui donne la précision, la clarté, la souplesse et, dans l’accompagnement des voix, une exquise et constante douceur. Il ne saurait lui donner, parce qu’il ne les possède pas lui-même, la poésie, la grâce, le sourire et la flamme. Quant à la puissance, elle manque là où nous l’attendions le plus, notamment à l’arrivée du cygne. Peut-être est-ce la faute de cette salle maudite. Quelques mouvemens aussi nous ont paru trop lents.

M. Van Dyck chante Lohengrin avec tout le zèle, toute la conscience possible. La voix a plus de puissance et d’étendue que de timbre. Quant à la prononciation, elle est sans pareille. M. Van Dyck fait un sort à chaque syllabe, à toutes les consonnes, parfois même à des e muets. Et quelle gymnastique de la bouche, quelle frénésie maxillaire ! Mais l’accent vient des lèvres plus que du cœur. Et pourquoi cette face imberbe et joufflue ? N’en déplaise à Mme Wagner elle-même, Lohengrin doit avoir l’air d’un héros et non d’un nourrisson.

Mme Caron, qui, elle, n’a pas la figure poupine, prête à Elsa moins de naïveté peut-être et de jeunesse que d’étrangeté, mais une noblesse douloureuse, avec une physionomie toujours intéressante. Elle a chanté dans la perfection la rêverie aux étoiles. M. Delmas enfin, est, selon son habitude, excellent. En voilà un qui prononce bien, et pas avec la bouche seulement.


Manon vient de reparaître à l’Opéra-Comique avec un très grand succès : Manon, l’un des meilleurs opéras de M. Massenet, le meilleur peut-être, en tout cas le plus égal.

Les taches y sont rares : quelques longueurs seulement, comme le tableau du Cours la Reine, qui serait à supprimer entièrement, si l’on en pouvait retirer, pour la placer ailleurs, la page la plus exquise, je crois, de la partition : le dialogue de Manon avec le comte des Grieux. A l’héroïne elle-même, on reprocherait bien çà et là quelque préciosité : la phrase : Nous irons à Paris, à la fin du premier acte, et surtout l’adieu à la « petite table. » Il est vrai que nous n’avons pas affaire ici à l’Alceste d’Euripide ou à la Didon de Virgile, os impressa toro, et que chez une grisette un peu de puérilité sentimentale ne messied pas. Mais laissons les critiques. Aussi bien, avec M. Massenet, depuis Esclarmonde et le Mage, nous sommes un peu en reste de louanges ; l’occasion est bonne de nous acquitter.

  1. Voir la Revue du 15 mai 1887.