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sortie des gymnases, il fallait s’assurer si les élèves avaient parcouru tout le champ de l’histoire et acquis « une connaissance exacte de l’histoire ancienne, surtout de la grecque et de la romaine, ainsi que de celle de l’Allemagne et de la Prusse, en y ajoutant quelques notions sur l’état actuel du monde. » Quel chemin on a fait depuis ! Désormais l’examinateur devra s’assurer surtout que l’élève sait sur le bout du doigt le catéchisme politique qu’on lui aura enseigné, et qu’il se fait une idée juste de la constitution de l’empire et de ses devoirs envers son empereur. Pour obtenir ce précieux résultat, on ne saurait mieux faire que de pratiquer à la lettre la méthode de M. Grimm. L’enfant est crédule, il croira facilement tout ce qu’il vous plaira de lui faire croire ; l’enfant est imaginatif, aidez-vous de son imagination, transformez hardiment l’histoire contemporaine en légende : il vous en saura gré, et pendant que son esprit est une cire molle, vous y imprimerez des images qui ne s’effaceront jamais.

C’est le point sur lequel, avec raison, M. Grimm insiste le plus. « Il faut, nous dit-il, que les glorieux événemens de la guerre de 1870 soient représentés à l’enfant comme ayant été décrétés dans le conseil de Dieu, que les personnages qui ont contribué à nos victoires soient pour lui au-dessus de toute critique, qu’ils lui apparaissent comme des instrumens de la providence et comme revêtus d’une héroïque grandeur. Cette transformation des événemens en mythes, si vous savez vous y prendre et sans que vous vous donniez beaucoup de peine, s’accomplira d’elle-même dans l’âme de l’enfant. » En sortant du collège idéal, le jeune Prussien saura, pour l’avoir appris en seconde, que selon toute apparence Romulus et Numa n’ont jamais existé ; mais il saura aussi, pour l’avoir répété six ans de suite, que l’empereur Guillaume Ier était un être parfait, un confident et un serviteur du Très-Haut, un demi-dieu, ou que, pour employer l’expression d’un valet de chambre de Louis XIII, « il y avait un commerce étroit entre leurs majestés divine et humaine. »

On assure qu’en écrivant son article, M. Grimm a traduit fidèlement la pensée, les sentimens, les désirs d’un très grand nombre de ses compatriotes. Tel est le résultat de vingt-cinq années pendant lesquelles l’adoration du succès et de la force a remplacé tout autre genre de dévotion. Les caractères distinctifs de l’Allemagne d’autrefois étaient le culte désintéressé de la science, l’esprit critique, un goût passionné pour la théorie de l’évolution appliquée à l’histoire des choses humaines comme à la nature, le cosmopolitisme de l’intelligence, la recherche parfois maladive de l’originalité, le mépris des voies battues, le courage et l’amour des aventures. Le cheval, monté par un cavalier impérieux et brutal, qui lui tenait la bride courte et lui labourait les flancs de ses longs éperons, est désormais dressé ; pour le conduire où il veut, il n’a qu’à parler ou à lui montrer sa cravache. Si Lessing, si