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soumises, elles ont produit de très grands hommes, que, quoiqu’elles n’eussent point d’empereur, elles ont enfanté une civilisation dont nous vivons encore ? Lui direz-vous, à votre petit Prussien, que pour renouveler l’Europe germanisée, il a fallu la Renaissance, et que la Renaissance, c’est la Grèce retrouvée ? S’il a su profiter de vos leçons, les Cimon, les Thémistocle, lui paraîtront bien peu de chose. Qu’est-ce que Marathon quand on s’est repu durant cinq années du souvenir de Sedan ? et qui oserait comparer un Miltiade à un Moltke ? Toutes ces gloires lui sembleront bien obscures auprès des siennes ; cet aiglon, gorgé de statistique et de gros chiffres, regardera de très haut ces fourmilières. Mais il pourrait arriver aussi que les glaces de son cœur et de son orgueil fondissent par enchantement. On ne saurait trop se défier de la Grèce, c’est une ensorceleuse ; s’il se laissait prendre à son charme, tout serait perdu. Vous l’aviez si bien commencé ! Quel malheur si vous corrompiez sa vertu !

Il faut excuser M. Grimm. Nous avons tous nos faiblesses, la sienne est d’admirer, d’aimer passionnément la Grèce antique. Le gymnase où il a fait ses premières études ne ressemblait guère au collège idéal dont il vient de tracer le plan, et il lui en est resté quelque chose : il y a des souvenirs qu’on n’efface pas, il y a des taches qu’on ne peut laver. Songez aussi qu’il appartient à la vieille Allemagne par le nom glorieux qu’il porte, et que par son mariage il est presque entré dans la famille de Goethe. Il n’a pu dépouiller entièrement le vieil homme. Il ressemble à ces soldats, dont il est parlé dans l’histoire des Macchabées, qu’on croyait de fidèles serviteurs du vrai Dieu ; ils combattaient, ils mouraient pour la gloire du Seigneur ; mais quand on releva leurs cadavres, on trouva cachées sous leurs tuniques des marques d’idolâtrie, et on découvrit que dans le secret de leur cœur, ces héroïques champions de la bonne cause n’avaient jamais renoncé aux abominations des peuples infidèles. M. Grimm, lui aussi, a ses idoles cachées ; que le Dieu jaloux lui pardonne !

Son programme est incomplet ; d’autres le perfectionneront après lui ; mais s’il a eu quelques défaillances dans l’exécution, il a compris mieux que personne le but à atteindre. De quoi s’agit-il en définitive ? Ceux qui veulent substituer aux vieilles méthodes l’enseignement de l’histoire à rebours se proposent tout simplement d’introduire la politique, dès les petites classes, parmi les objets d’étude ; M. Grimm lui donne la première place, en ayant soin que tout le reste s’y rapporte. Un Allemand déclarait naguère que l’État doit tout régler, jusqu’aux jeux de l’enfant, jusqu’à son boire et à son manger, jusqu’à ses manières à table. S’il est important de se bien tenir à table, i) importe beaucoup plus encore d’avoir, si jeune qu’on soit, ces bonnes opinions qui font les bons sujets, au sens politique du mot.

Le règlement prussien de 1854 portait que dans les examens de