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obstination de ce vaincu qui n’acceptait jamais sa défaite. De son côté, M. Morley n’a point changé d’attitude. Le 16 janvier dernier, il disait à ses électeurs de Newcastle : « Quoi qu’il arrive, nous resterons fidèles à nos engagemens. L’Irlande a mis en nous son espoir ; cet espoir ne sera pas déçu. L’heure est critique, les symptômes sont menaçans, mais c’est l’adversité qui contrôle le métal dont les hommes sont faits. Vaincus ou victorieux, nous combattrons jusqu’au bout. Lorsque la fumée de la bataille qui se livre en Irlande se sera dissipée, on verra de nouveau briller les feux amis sur la côte anglaise. »

La fumée de la bataille ! Prenons congé ici, non sans regret, de cette métaphore qui a dit son dernier mot !

Les choses en étaient là lorsque la mort inattendue de M. Parnell est venue modifier la situation. Cette mort, qui devait, semble-t-il, rendre l’unité au parti irlandais, le laisse plus divisé que jamais. L’avenir dépend des élections générales. Le parti libéral compte sur une majorité de cent voix, et il est certain que le courant est en sa faveur ; mais, d’ici au jour du vote, la politique extérieure peut amener un revirement soudain, une de ces puissantes marées d’opinion qui balaient tous les obstacles et déjouent tous les calculs. « Et si M. Gladstone mourait ? » demandent quelquefois les indiscrets à M. Morley. Il répond vivement : « M. Gladstone ne mourra pas ! » Si son interlocuteur est Français, il ajoute en souriant : « Ne vous rappelez-vous pas ce que disait votre président, M. Thiers, à ceux qui venaient l’entretenir de sa disparition éventuelle. Vous venez encore me parler de ma mort : eh bien, je n’y crois pas ! »

Donc, n’insistons pas. Il est entendu que M. Gladstone est immortel… comme M. Thiers.

En effet, M. Gladstone ne mourra pas, parce qu’après lui il y aura un autre Gladstone dans John Morley. C’est la question irlandaise qui l’a fait monter au premier rang ; mais, que cette question soit ajournée ou résolue, il ne peut plus rentrer dans l’ombre. Je sais que sa sévérité et sa hardiesse ne sont pas du goût de tout le monde. Il ne flatte ni les ouvriers, ni les patriotes. Il a choisi, pour répudier le nom de socialiste, le moment où c’est pour tous les hommes d’État de l’Europe une coquetterie de s’en affubler. Il souscrirait à l’abandon des Indes, si on lui prouvait que les Indes coûtent plus qu’elles ne rapportent. Son mépris du lieu-commun fait de terribles trous dans la banalité et la routine dont est faite la politique de tous les jours. Si le manteau d’Élie tombait sur ses épaules, il n’est pas sûr que certaines mains ne tenteraient pas de l’en arracher. Même parmi ses électeurs, il y a des insoumis et