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point Macaulay, mais il devait être un des premiers à attaquer, un des plus âpres à dénoncer cette rhétorique bourgeoise qui cache sous sa brillante mise en scène, avec bien des ignorances et des erreurs, la médiocrité, on oserait presque dire la grossièreté morale. Macaulay a le prodigieux mérite de dire toujours quelque chose ; mais ce « quelque chose, » que vaut-il ? Avec Macaulay comme avec Thiers, la science est faite et la société est bien comme elle est ; l’esprit humain est arrivé, par conséquent arrêté. Leur critérium est le succès ; leur méthode, de plaire ; leur art, de louer leurs amis et de parer leurs idées. Pendant trente ans, Macaulay a empêché d’étudier la révolution de 1688, comme Thiers a empêché d’écrire l’histoire de Napoléon.

Mais la jeunesse anglaise avait d’autres maîtres. Carlyle, cette « force morale » dont Goethe avait prédit, trente ans plus tôt, dans une conversation avec Eckermann, le développement et l’influence, touchait à l’apogée de sa popularité. Pendant que, dans son grenier de Chelsea changé en cabinet d’étude, il se débattait avec son dernier livre, qui eut tant de peine à sortir, les générations nouvelles dévoraient son Cromwell, sa Révolution française, son Culte des héros et jusqu’au Sartor resartus, autrefois dédaigné des éditeurs. L’admirable artiste, le prestigieux écrivain que Carlyle ne voulait pas être, et qu’il était pourtant, agissait sur les nerfs de John Morley sans le toucher à fond. Il accordait que, « dans ses plus humbles parties, l’œuvre de Carlyle reflète la totalité de l’univers, » que « le carlylisme avait ramené au respect le monde révolté par le byronisme. » Mais il ne suivait point le sage de Chelsea, parce qu’il voulait aller quelque part et que le sage de Chelsea ne conduit à rien.

L’évolutionisme venait de paraître et faisait une fortune rapide, envahissait tous les domaines. Derrière Darwin, se montraient Tyndallet Huxley. Le christianisme, religion nominale, se refroidissait, se vidait de plus en plus ; ce n’était déjà plus, pensait-on, qu’un cénotaphe, un néant sous une draperie officielle. La science allait tout expliquer et tout soumettre. Il y eut quelques années de confiante et vaniteuse satisfaction, un moment d’enthousiasme qui sera peut-être le dernier dans l’histoire de l’esprit. Ce qui le fortifia, c’est qu’il coïncidait avec une béatitude répandue dans le corps social, analogue à celle qui, dans l’être physique, accompagne les copieux repas et les heureuses digestions. Jamais l’Angleterre n’avait gagné tant d’argent. L’humanité, décidément adulte, avait rompu avec toutes les superstitions, religieuses, économiques, militaires. Plus de dogmes, plus de douanes, plus de guerres. On n’avait plus qu’à vivre heureux et à faire des affaires.

John Morley était imprégné de ce positivisme au milieu duquel