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destinée à réformer les votes de la chambre, fera-t-elle bon marché de son droit de révision et consentira-t-elle à se transformer en simple bureau d’enregistrement, alors qu’elle peut trouver un regain de popularité en prenant en main la défense de certaines industries ? Elle hésitera d’autant plus que l’examen du tarif se lie étroitement à l’établissement du budget, puisque le produit du tarif entre pour 38 millions dans les calculs du ministre des finances et pour 70 dans ceux de la commission de la chambre. Cet examen ne suffira-t-il pas à absorber les quelques semaines que la chambre voudra bien lui laisser, sans que si tâche soit compliquée de graves questions dont aucune ne demande une solution immédiate et qui appellent de mûres réflexions ?

Ce n’est pas à la légère qu’on peut aggraver de 25 pour 100 un impôt déjà fort lourd. On ne manquera pas de dire que l’alcool supporte, dans la plupart des autres pays, des taxes beaucoup plus fortes ; mais les situations sont différentes. C’est en France surtout que la fabrication de l’alcool a pris un développement considérable et se lie étroitement à la prospérité de plusieurs branches de la production nationale. L’alcool, pur ou dénaturé, est une matière première qui reçoit diverses applications dans de nombreuses industries ; il est la base du commerce des liqueurs dans lequel nous avons été longtemps sans rivaux et qui donne lieu à une exportation importante. Déjà, la concurrence est vive, la contrefaçon et la fraude s’exercent sur une grande échelle. A-t-on bien calculé les effets possibles d’une aussi notable aggravation de l’impôt ? On reconnaît déjà la nécessité d’accroître le nombre des agens du fisc et d’assurer une surveillance plus rigoureuse : est-on certain de l’efficacité des moyens qu’on projette d’employer ? Si l’on ralentit la production en la surchargeant, ou si l’on développe la fraude et la contrebande, que deviendront les recettes attendues ? Croit-on que les bouilleurs de cru, tant de fois frappés et tant de fois affranchis, se laisseront égorger sans résistance ? Les débitans, ces arbitres des élections, accepteront-ils une surcharge qui portera de treize millions à quatre-vingt-deux le produit des licences, et manqueront-ils de défenseurs ? Tout cela a-t-il été prévu et pesé suffisamment ? Combien le ministre des finances avait été mieux inspiré en donnant la préférence à un projet de loi spécial qui eût suivi la filière législative ordinaire, dont l’examen approfondi se fût concilié avec le respect des prérogatives du sénat, et dont les dispositions, après le vote définitif, auraient pris place tout naturellement dans le budget de 1893 ! On prête à M. Rouvier l’intention de demander l’ajournement des deux projets que la commission a greffés sur le budget : il aurait raison de le faire, il pourrait