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fait M. Rouvier dans l’exposé des motifs, et, comme lui, il institue des comparaisons rétrospectives pour démontrer que la situation s’est sensiblement améliorée. En regard de 1883, où 834 millions de dépenses furent inscrites en dehors du budget et, déduction faite des amortissemens, grossirent la dette du pays de 646 millions pour un seul exercice, il place l’année 1892, où les dépenses destinées à accroître la dette publique ne s’élèveront qu’à 192 millions. L’écart est considérable, sans doute ; mais quand on jette les yeux sur les pays voisins, on est en droit de penser que ce n’est pas là un résultat satisfaisant. Les chiffres, d’ailleurs, ont besoin d’être vérifiés et de recevoir la sanction de l’expérience. Le ministre et M. Cavaignac estiment, tous les deux, que l’exercice 1889 a clos la période des déficits, et sera réglé avec un excédent de 24,193,792 fr. On peut les renvoyer à M. Pelletan qui, en décomposant les dépenses et les voies et moyens de l’exercice 1889, a constaté me millions de dépenses d’emprunt et une addition nette de 266 millions au passif de la France. Comment de pareilles divergences sont-elles possibles sur de simples questions de chiffres ? M. Pelletan a essayé de l’expliquer. « Ce qui a donné, depuis le début, à notre comptabilité, écrivait-il en 1890, son caractère spécial, c’est le goût et le talent des fictions financières… Ajoutez l’habitude toute française, à ce qu’il semble, des budgets multiples, et la passion de déployer un véritable génie de combinaisons ingénieuses pour inventer, dans les écritures, jusqu’à des ressources purement imaginaires dont on ne peut connaître le fond vrai que si l’on en a la clef, comme autrefois les soi-disant réserves de l’amortissement. Il est matériellement impossible, à moins d’une longue initiation, de se reconnaître au milieu des conventions qui servent depuis un temps immémorial à traduire dans les écritures de la façon la plus exacte, mais la moins accessible, les réalités financières. » Laissons donc nos augures se mettre d’accord sur les résultats vrais de l’exercice 1889 et abordons directement l’examen des deux budgets de 1892, celui du ministre des finances et celui de la commission de la chambre, pour voir s’il en sortira quelque amélioration dans la situation financière.


II

Commençons par rendre justice à M. Rouvier. Il a été, dans le passé, l’avocat persévérant et habile de toutes les prodigalités parlementaires, des abandons de recettes comme des aggravations de dépenses ; mais du jour où le pouvoir lui est arrivé, où il a eu à mettre son nom au bas d’un budget, il s’est assagi à la lumière des