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d’un appel à des ressources exceptionnelles dont le chiffre a atteint 120 millions en 1879. Il serait moins aisé encore de justifier les dégrèvemens qui ont été votés postérieurement dans des périodes plus difficiles… Quelques-uns d’entre eux ont constitué des mesures essentiellement provisoires sur lesquelles on est revenu au bout de quelques années, comme le dégrèvement des sucres… Personne, croyons-nous, ne pourrait soutenir que les résultats produits par ces dégrèvemens de près de 400 millions aient été une compensation suffisante pour les sacrifices qu’ils ont imposés au trésor et pour les difficultés financières qu’ils ont créées… L’exemple même des dégrèvemens réalisés vers 1880, des maigres résultats qu’ont donnés la plupart d’entre eux, commande en ces matières la plus grande circonspection. Il montre surtout combien il est important de ne point faire d’expérience prématurée. »

Les censeurs du gouvernement ne disaient pas autre chose ; et après avoir apprécié comme eux l’imprudent abandon qui a été fait de ressources précieuses, M. Cavaignac énonce avec infiniment de clarté les principes sur lesquels ils fondaient leurs critiques. « Il n’y aura, dit-il, de véritables dégrèvemens, comme il ne peut y avoir de véritable amortissement, que le jour où le budget ordinaire comprendra et couvrira par les ressources ordinaires l’ensemble des dépenses publiques… Ce serait une politique qui manquerait à la fois de sincérité et de clairvoyance que de paraître restituer d’une main aux contribuables ce qu’on serait obligé de demander de l’autre à des expédiens. » Expédions ! le mot y est. N’est-ce donc pas à bon droit que, pendant une série d’années, on a pu dire que l’équilibre du budget était fictif, et qu’en voyant le gouvernement, suivant les propres expressions de M. Cavaignac, chercher en dehors des produits normaux pour couvrir une part des dépenses publiques normales, des ressources extraordinaires extérieures au budget, on lui a reproché de n’obtenir qu’à l’aide d’expédiens une apparence d’équilibre ?

Une de ces ressources, justement qualifiées d’extraordinaires, a été l’application aux dépenses d’un exercice des excédens laissés par un exercice antérieur. On y a recouru tant qu’on a pu invoquer des excédens plus ou moins réels, et malgré la loi qui attribuait à ces excédens une affectation spéciale et obligatoire ; ce n’est pas M. Pelletan qui excusera ce procédé, car, quand il se plaint, dans son rapport sur la dette, de la difficulté d’établir exactement ce que la France a perçu, dépensé et emprunté dans chaque exercice, il rapporte cette obscurité à « l’habitude de se décharger d’une partie des dépenses sur des caisses ou services spéciaux, sans distinction d’exercices, et d’attribuer fictivement et