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habitans sont de beaux hommes, les femmes sont affreuses comme partout sur cette côte.

Partout, en effet, ce contraste existe entre l’homme et la femme de ces pays ; l’homme grand, large d’épaules, l’air intelligent, les traits européens, la femme, au contraire, misérable, reléguée au rang d’esclave, tordue, voûtée, abrutie par les lourdes tâches, les gros travaux, les ouvrages de force. L’homme est le maître, il dort, mange, boit et palabre. A peine consent-il quelquefois à s’en aller pêcher en mer, et encore sont-ce les enfans qui pagaient. La femme est un article de traite. L’esclavage, aboli sur la côte, revit dans ce trafic de la femme. Un noir achète une femme pour quelques barils de poudre ou quelques fusils et la revend huit jours après quand il n’en a plus besoin. La polygamie chez ces peuples, étant donné ce rôle de roi fainéant que s’attribue l’homme, est nécessaire. Une seule femme ne saurait suffire à aller chercher l’eau, le vin de palme, déterrer le manioc, préparer le couscous, piler le riz, soigner les enfans, tenir la case. Suivant son train de maison, sa richesse, un noir a deux ou trois et jusqu’à six et dix femmes. Le mariage, dans ces conditions, devient une affaire commerciale, suivant l’âge et la beauté de l’enfant, car un père débite ses filles le plus tôt qu’il peut, en général vers dix ou douze ans, — le prix diffère. L’époux fait en outre un don au père, c’est d’ordinaire un pagne ou un fusil.

Une fois mariée, et aucune cérémonie religieuse ne consacre l’union, la femme doit l’obéissance à son mari. Comme dans la loi musulmane, la femme infidèle peut être tuée ou rendue. Si l’époux tue la femme et son amant, il est dans son droit ; mais on ne lui doit aucune restitution, s’il rend la femme à son père, la dot lui est remise et la femme est libre. Dans la vie ordinaire, l’homme marié a tous pouvoirs sur sa femme, sauf de la tuer.

C’est sous cette loi barbare que s’étiole, que se fane la femme de ce pays. Moralement, c’est un être sans volonté, s’attachant à ses enfans, n’ayant que cette joie dans sa vie, que cette lueur dans son abrutissement : l’amour maternel. Physiquement, elle est vieille à vingt ans, déformée à quinze et jolie seulement de huit à douze ans.

Pour nous confirmer ses sentimens à notre égard, le bon roi Goffé voulait absolument nous donner deux de ses femmes, et c’est à grand’peine que nous avons pu nous soustraire à ce cadeau gênant.

Le soir, nous rentrions dans Fresco. Au clair de lune, nous apercevons des masses de caïmans, c’est un animal fétiche ; il dévore tous les ans quantité de noirs, même le feu roi n’est jamais revenu d’une ablution trop complète, au cours de laquelle il s’est trouvé