Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas l’Angleterre. Le souvenir de la guerre de Lombardie, en 1859, suffit à le prouver. L’Angleterre, si elle fait la guerre, c’est pour un intérêt, et pour un intérêt anglais. Que les États qui, sur l’espérance d’un secours anglais, pourraient être portés à s’engager dans une politique susceptible de leur attirer une guerre dangereuse, se le disent. Que l’exemple de la dernière guerre turco-russe soit toujours présent à leur mémoire : il est constant que, sans les encouragemens de l’Angleterre et la foi qu’ils avaient dans son secours, jamais les Turcs ne se seraient engagés dans cette guerre. L’Angleterre cependant assista sans s’émouvoir à la destruction territoriale de l’empire turc. Elle ne songea à intervenir qu’après San-Stefano, aux portes de Constantinople ; là, l’intérêt anglais surgissait par la question des détroits. Les escadres russes ayant libre accès dans la Méditerranée altéreraient l’équilibre méditerranéen, tel que l’intérêt anglais le conçoit, c’est-à-dire l’équilibre au moyen de la suprématie anglaise. Et l’on peut aller plus loin encore sans crainte de se tromper. S’il est une puissance à laquelle l’Angleterre ne fera jamais la guerre, à moins d’un intérêt anglais ou de l’honneur anglais spécialement et directement engagé, cette puissance c’est la France. La France peut n’avoir pas assez de cuirassés pour s’enhardir jusqu’à entreprendre une campagne de batailles navales contre la marine anglaise et celle de tous les alliés dont elle peut parvenir à se renforcer ; mais elle a assez de bons navires, assez de braves marins, assez de traditions navales glorieuses, pour faire, avec un plein succès, la chasse à toute la marine marchande anglaise, sur toutes les mers du globe. Le commerce anglais, l’industrie anglaise et la banque anglaise le savent. Il n’y a pas de cabinet, whig aussi bien que tory, qui pourrait espérer de se trouver encore en place le soir même du jour où, autrement que pour un intérêt anglais bien démontré, il aurait déchaîné sur la fortune du royaume-uni le danger d’une telle guerre.

D’autre part, la France et l’Angleterre n’ont que des difficultés de détail pour des questions ne touchant pas directement leur honneur ni leur territoire national respectif. La république française, en outre, est exclusivement préoccupée de l’éventualité d’une grande guerre avec l’empire allemand. Dans ces conditions, supposer qu’elle pourrait en venir à prendre des initiatives devant lui occasionner une guerre avec l’empire britannique, ce serait supposer l’absurde.

Au point de vue anglais, comme au point de vue français, l’hypothèse d’une guerre anglo-française est donc à écarter comme absolument insoutenable. Mais il est une guerre, d’intérêt anglais