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La raison de ce contraste est que, dans ce court intervalle, l’entrevue des deux souverains du nord à Varsovie, dont on s’était beaucoup préoccupé, avait été brusquement interrompue. Cet événement inattendu prouvait à l’Angleterre l’impuissance de la réaction européenne à arrêter les flots du torrent révolutionnaire qui emportait la vieille Italie, et donnait naissance à une Italie nouvelle, toute prête à aiguiller sa politique dans la voie de la politique anglaise.

Quant aux hésitations que révèlent les deux dépêches que je viens de citer, il est aisé d’en comprendre les motifs. L’Angleterre voulait encore moins la guerre en 1860 qu’elle ne l’avait voulue en 1859 ; car, en 1860, compromise comme elle avait fini par l’être avec les Italiens, elle n’aurait pu, sans se déshonorer, les abandonner aux vengeances des armes autrichiennes. En 1859, Bertani écrivait à Garibaldi[1] : « L’Angleterre est jalouse de la France ; qu’elle nous aide elle-même, et nous serons avec elle. » C’était naïf. L’Angleterre, comme tout ce qui précède le démontre amplement, ne se souciait nullement de faire la guerre pour délivrer l’Italie. En 1859, elle mettait au contraire tous ses efforts dans le sens opposé. En 1860, c’était différent. Elle ne voulait toujours pas de guerre, mais elle exploitait la situation qu’avaient créée les victoires de la France ; elle l’exploitait contre l’influence de cette puissance et au profit de la sienne propre. Voilà tout son secret.

Ce qui achève de prouver que le but de l’Angleterre n’était pas autre que celui que je me suis efforcé de définir, c’est l’attitude de quasi-indifférence qu’elle a adoptée à l’égard des affaires italiennes, dès que le résultat qu’elle poursuivait a pu lui paraître suffisamment assuré.

En effet, après l’annexion des Deux-Siciles et la proclamation du royaume d’Italie, l’action de la politique anglaise dans la péninsule a cessé de se manifester avec la même intensité. Venise cependant n’était pas encore libre ; mais Rome était occupée par une division française, et, tant que cette situation durerait, l’Angleterre était sûre de ne point voir le sentiment italien dévier de la ligne d’opposition à la politique française, vers laquelle elle avait tant contribué à la diriger. Il lui suffisait désormais de tenir, comme on dit, « en main » Garibaldi et, par lui, les autres chefs du parti d’action ; leur républicanisme, naturellement hostile à la France impériale, saurait empêcher tout écart de l’opinion ; il saurait neutraliser l’effet des sentimens de gratitude que Victor-Emmanuel, dans son cœur loyal, pourrait garder à son providentiel allié, l’empereur des Français.

  1. J.-White Mario, Agostino Bertani e i suoi tempi. t. I, p. 324.