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autant que odieux ; triple alliance ne dit rien ; c’est bien par alliance dynastique que l’opposition le traduira.

Que l’on passe en revue toutes les alliances qui ont été conclues dans la seconde moitié de ce siècle. L’alliance anglo-franco-italo-turque de 1854, qui eut pour résultat la guerre de Crimée ; l’alliance franco-sarde de 1858, d’où sortit la guerre de Lombardie ; l’alliance anglo-française de 1860 pour la répression des massacres de Syrie ; l’alliance anglo-française de la même année 1860 pour le châtiment à infliger à la Chine ; l’alliance anglo-franco-espagnole de 1862 pour l’expédition du Mexique ; l’alliance austro-prussienne de 1864 pour la conquête des duchés ; l’alliance italo-prussienne de 1866 pour la délivrance de Venise et l’expulsion de l’Autriche de la confédération allemande ; toutes, même les alliances d’intérêt panslavique, conclues incidemment par la Russie avec les petits états danubiens pendant la guerre turco-russe de 1878, toutes ont été conclues en vue d’un but déterminé et pour un temps très limité.

Mais, nous dira-t-on, la triple alliance aussi a son but parfaitement déterminé, et ce but c’est la paix. Il faut que l’on en finisse avec ces jeux de mots qui, lorsqu’il s’agit du sang et de l’existence des nations, ne sont qu’une offense à la moralité universelle. On s’allie toujours pour la paix, c’est-à-dire pour les conditions de la paix à conclure à la suite d’une guerre que l’on prémédite ; mais s’allier pour imposer la paix, c’est exciter autrui à mettre ses forces en état de résister ; c’est, en réalité, provoquer la guerre ; car, ainsi que l’a dit un poète dont tout le monde en Italie sait par cœur les sentences,

Se Pesca avvampa, stupir non dee chi l’avvicina al fuoco[1].

Au surplus, une alliance de deux ou plusieurs puissances militaires ne peut s’entendre que dans le sens offensif ou dans le sens défensif. Un troisième terme, celui, par exemple, du sens expectatif, n’a pas encore trouvé place dans le vocabulaire diplomatique. Or, j’admets qu’aucun des membres de la triple alliance n’ait des vues offensives. J’admets que l’Allemagne ne poursuive qu’un but défensif contre les intentions de revanche qu’elle peut prêter à la France ; j’admets que l’Autriche n’ait que des intentions défensives contre les projets agressifs qu’elle peut supposer à la Russie à propos de leur situation respective dans la question slavo-orientale. Mais l’Italie, quel intérêt défensif a-t-elle à entrer

  1. « Si l’amorce s’enflamme, qui l’approche du feu n’a pas à s’en étonner. » (Metastasio.)