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éclatait, elle « ne pourrait tenir tête à l’armée française et que, dans tous les cas, elle en sortirait avec perte. — La nostra armata non potrebbe fronteggiare la francese, e in ogni caso ne uscirebbe con danno. — Conséquemment il se prononçait contre la continuation de la triple alliance.

Malgré l’incontestable compétence de l’orateur, ces constatations, peu faites pour flatter la vanité nationale, provoquèrent de vives protestations. Le député Giovagnoli, dans une violente réplique, exprima contre la France de profonds sentimens de haine qu’il justifiait en rappelant le marchandage de la Lombardie contre Nice et la Savoie, le siège de Rome, les chassepots de Mentana, et, ne craignant pas de remonter à plusieurs siècles en arrière, il plaça tout ce qu’il avait de fiel dans l’âme sous la haute autorité du grand nom de Machiavelli. Un orateur d’extrême droite, M. Prinetti, se chargea de réfuter les imprécations de cet ennemi de la France. L’extrême gauche, cette fois, avait le bon esprit de garder un silence prudent et de laisser la droite, pour la première fois, s’engager ainsi contre la politique d’alliances au point de provoquer dans la chambre une scène qui faillit devenir tumultueuse.

C’est au milieu de cette agitation des esprits que la parole si calme, si mesurée de M. di Rudini se fit entendre encore une fois : — « La politique italienne, dit-il, a deux objectifs : l’équilibre et la paix. La triple alliance a été utile à ces deux objectifs, dont nous devons maintenir la poursuite en toutes choses. Il n’est pas opportun de parler chaque jour de la direction de notre politique extérieure. Nous devons maintenir invariables nos amitiés et nos alliances. »

On le voit ; c’était toujours la même note sibylline. On entendait avoir, d’un côté, des « amis, » de l’autre, des « alliés. » Or, comme il pouvait paraître difficile que ceux qui étaient exclus des alliances pussent s’attendre sérieusement à devoir être considérés comme des amis, libre à eux de supposer que tous ces artifices de langage cachaient l’intention de laisser tomber purement et simplement les alliances en désuétude.

Cependant, à mesure que ces déclarations ministérielles à double entente se suivaient, les illusions des adversaires de la triple alliance tombaient une à une. Il n’était plus possible, il n’était même plus digne de persévérer dans cette politique de quiproquo. Le gouvernement comprit qu’il fallait en sortir. Il prit pour confident M. le député Maggiorino Ferraris, correspondant du Corriere della Sera. Le 6 juin, ce journal publiait une lettre de Rome faisant l’historique de l’entente anglo-italienne, commencée, il y a six ans, entre le comte de Robilant et lord Roseberry, entente enfin conclue par le marquis di Rudini. L’honorable correspondant du journal