Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propositions qu’on lui faisait et ne s’y prêtait qu’avec l’assentiment de ses amis, par une sorte de condescendance, pour qu’on ne pût pas dire qu’il laissait échapper une occasion de servir la cause royaliste.

Au demeurant, tout se bornait à une combinaison assez médiocre. M. de Villèle devenait, avec M. Lainé, ministre sans portefeuille, M. Corbière recevait le titre de président du conseil supérieur de l’instruction publique, avec entrée au conseil des ministres. Du même coup, Chateaubriand avait son ambassade à Berlin, avec la promesse du titre de ministre d’État, qu’il avait perdu dans ses guerres contre la politique du 5 septembre. On faisait un pas de plus dans l’évolution, on n’avait encore rien résolu. Ce qu’on venait d’arranger non sans peine ressemblait à un essai mal ébauché, à un expédient proposé et accepté sans conviction. Le duc de Richelieu le sentait si bien que, pour décider M. de Villèle, il lui disait « à l’oreille, » avec sa naïveté de grand seigneur : « Vous sentez bien qu’avant la fin du printemps vous aurez un beau ministère en pied ! » M. de Villèle, qui avait sa fierté, en avait si bien aussi le sentiment qu’il n’acceptait qu’à la condition de ne pas quitter son logement privé, et, n’ayant rien à faire dans son ministère inutile, de ne toucher aucun traitement.

Effectivement il n’y avait dans tout cela, on le sentait, rien de décisif ; on ne sortait pas de l’ambiguïté ou de l’équivoque. Qu’était-ce en effet, que ce ministère ainsi remanié ou plutôt complété par une adjonction partielle et en définitive médiocrement équilibré ? Il n’avait d’autre lien que la bonne volonté de quelques hommes réunis par une nécessité de circonstance ; par son origine, par ses diversités morales, il ne pouvait être qu’un conflit organisé. D’un côté, les anciens ministres, unis par leur passé, restaient maîtres des grandes positions, gardaient la direction des affaires, c’est-à-dire la réalité du pouvoir, et se réservaient de mesurer leurs concessions, de maintenir leur politique. D’un autre côté, les nouveaux ministres, bien qu’ils eussent été accueillis avec des velléités sensibles de confiance et même de faveur par le roi, déjà revenu de ses préventions, les nouveaux ministres avaient l’air d’être presque des intrus, des avocats consultans admis au conseil, sans action définie et précise. M. de Villèle ne tardait pas à sentir ce qu’il y avait de faux dans cette position où il paraissait n’être qu’un représentant inutile et effacé du royalisme au pouvoir ; il le sentait d’autant plus qu’il se voyait pressé, harcelé par ses amis les royalistes, déçus dans leurs espérances, de plus en plus irrités contre un ministère qui ne pouvait suffire à leurs prétentions et à leurs impatiences. M. de Villèle s’efforçait de les modérer : il réussissait