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que l’Autriche inspire en Italie. Or, c’est avec une aisance parfaite que M. le marquis di Rudini, ce jour-là, prit son parti de dissiper certaines équivoques : « L’Autriche, dit-il, est une sincère amie de l’Italie ; l’amitié de l’Autriche est nécessaire à l’Italie. » Et, pour qu’il n’y eût point de doute sur l’interprétation de sa pensée, il s’empressait d’ajouter : « Si cette déclaration devait amener des amis chers à nous refuser leur vote, nous le regretterions, mais nous ne nous en dédirions pas. »

C’était « grave, » comme le faisait remarquer le Journal des Débats, qui, dès ce moment, n’avait plus d’illusions sur les vues du nouveau cabinet. « Parler en ces termes de l’Autriche dans un pays où, peu ou prou, tout le monde est irrédentiste, c’est marquer l’intention de brûler ses vaisseaux. » C’était d’autant plus grave, que ces paroles rompaient en visière avec un groupe parlementaire qui ne pouvait les entendre sans séparer sa politique de celle du ministre qui les avait proférées.

Les séances à sensation se suivaient rapidement. Dans celle du 21 mars, on discutait l’assiette du budget, — il bilamcio di assestamento, — présenté par M. Luzzatti. M. Crispi, pour la première fois depuis sa chute, prit la parole au milieu de l’attention générale de la chambre. Il passe brièvement en revue diverses parties du budget ; puis, in cauda venenum, il termine sa courte harangue par une allusion à « la lune de miel » des radicaux et du ministère, qui, dit-il, « les abuse ou est d’accord avec eux. » — « C’est vous qui les avez abusés, interrompt M. Nicotera. — Moi ? reprend le ministre tombé, je les ai toujours combattus, comme ils me combattaient eux-mêmes. — C’est votre politique que nous combattions, s’écrie M. Pantano. — Soit, répond M. Crispi ; mais ma politique, c’est celle du ministère pour lequel vous votez. » (Hilarité générale.) Et il conclut en déclarant qu’il votera contre le ministère ; ce à quoi M. Pantano réplique, en provoquant un nouvel accès d’hilarité : « Vous votez donc contre votre politique ! »

Les déclarations précédentes du gouvernement avaient créé des doutes sur le parti que prendrait l’extrême gauche dans le vote de confiance qui allait intervenir. M. Cavallotti voulut lever ces doutes en prenant la parole pour déclarer, au nom de ses amis, qu’ils voteraient pour le ministère. La chambre, impatiente, nerveuse, écouta peu les développemens par lesquels l’honorable chef de l’extrême gauche voulait expliquer les motifs du vote de son parti. On avait hâte d’entendre la parole ministérielle. M. di Rudini se lève, et la chambre fait tout à coup silence :

« L’honorable M. Crispi, dit-il, s’étonne de l’appui donné au gouvernement par l’extrême gauche. Je n’en repousse pas le suffrage, parce que, depuis les déclarations explicites, précises, que