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influence, et ce n’est guère qu’à partir de 1624 que l’hôtel de Rambouillet et les réunions précieuses exercent une sérieuse autorité sur le goût public. Je passe sur le tour d’esprit alambiqué et romanesque dont ce « grand monde purifié, » comme disait Chapelain, infecta les lettres françaises : par lui, pendant une quarantaine d’années, pointes subtiles, grands sentimens, fadeurs galantes, charges burlesques, l’outrance en tous sens fut à la mode, et il fallut, pour nous en débarrasser, le bon sens de quelques bourgeois instruits par la simple antiquité. C’est ce public de courtisans et de dames, ce sont leurs poètes et leurs beaux esprits, qui sous la régence jetèrent la littérature dans l’imitation espagnole. Le groupe des contemporains d’Henri IV ne doit rien à l’Espagne ; ils en haïssent trop la politique pour en prendre le goût ; ils se souviennent de la Ligue. Montchrétien nous en fournit la preuve presque à chaque page de son traité. Je n’insiste pas non plus sur « l’épuration » violente que le beau monde fit subir à la langue si nette et si forte déjà de Montchrétien. Il ne s’agissait plus, comme avait fait Malherbe, de reconstituer la langue française dans sa vraie et naturelle intégrité, d’éliminer les élémens étrangers et les créations artificielles, en prenant pour règle l’usage du peuple et pour arbitres les « crocheteurs du port Saint-Jean. » Non ; autre est le but de nos précieux, qui trop souvent ont fait la loi à l’Académie : ils veulent « dévulgariser » la langue, la purger de tout élément grossier et populaire, et ne s’avisent pas que de chercher à créer des expressions par elles-mêmes délicates et nobles, c’est aller contre le bon sens et le génie de notre langue, où toute dignité, toute beauté vient des choses. De ce goût asservi au « bel usage, » qui insensiblement écarte la littérature de la nature et lui interdit d’exprimer la vie, trop vulgaire en ses manifestations, de ce choix exclusif des mots qu’un usage trivial ne déshonore pas est sorti le pseudo-classicisme du XVIIIe siècle et la soi-disant « langue noble, » si pompeuse, si vague et si pauvre, qu’aucun de nos grands écrivains, quoi qu’on ait dit, n’a parlée, non pas même Racine, avec son élégance, ni Bossuet, avec sa sublimité.

Mais voici un effet plus curieux de l’assujettissement de la littérature au goût du monde : comme la langue fut appauvrie et la moitié de ses mots mis hors du bel usage, la littérature aussi vit son domaine circonscrit et diminué. Les préjugés ou l’ignorance des salons lui interdirent je ne sais combien d’ordres des connaissances humaines. Il fallait offrir aux « honnêtes gens, » du moment qu’on n’écrivait que pour eux, ce qui leur était familier et correspondait aux besoins de leur cœur, à l’état de leur intelligence : de la morale, de la psychologie, et tout au plus, en outre, de la