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n’était qu’une loi de plus, dont on ne pouvait encore prévoir les effets, mais cette loi avait justement cela de caractéristique d’abord qu’elle achevait la scission du gouvernement avec les libéraux, même avec les doctrinaires et, avant que quelques jours fassent passés, M. de Serre avait rompu le dernier lien en excluant du conseil d’État et des fonctions publiques des hommes qui depuis cinq ans avaient été des alliés, Camille Jordan, M. Royer-Collard, M. Guizot, M. de Barante. Par cela même ce mouvement vers le royalisme pur se trouvait accentué et fortement accéléré. Le ministère Richelieu tombait par degrés du côté où il penchait : il suivait l’irrésistible logique des choses !


VI

Ce n’est point cependant que, même après les derniers incidens, cette évolution royaliste, qui semblait être désormais dans la nature des choses, fût si près d’être tout à fait réalisée et que le drame ne dût avoir encore plusieurs actes avant de toucher au dénoûment.

On venait de vaincre ensemble, on ne paraissait plus trop pressé de compléter le rapprochement, de sceller ostensiblement l’alliance. Sans doute on parlait à demi-voix de prochains remaniemens ministériels qui feraient entrer au pouvoir M. Lainé, M. de Villèle, M. Corbière, de l’admission de quelques royalistes au conseil d’État, dans les préfectures, même de la nomination de Chateaubriand, le plus retentissant et le plus embarrassant polémiste du royalisme, à une ambassade. Par une dernière illusion, M. de Richelieu, en prodiguant les gages, la bonne grâce et les bonnes paroles aux royalistes, ne voulait pas paraître subir leurs conditions et se croyait tenu de garder vis-à-vis d’eux la dignité du pouvoir. Il hésitait, il ne se hâtait pas ! Les chefs royalistes, de leur côté, ne témoignaient ni impatience ni désir d’entrer dans le gouvernement. M. Corbière, toujours prêt à partir pour la Bretagne, se hâtait de quitter Paris aussitôt après le combat qu’on venait de livrer. M. de Villèle, qu’on aurait tenu à gagner bien plus encore que Corbière, mais qui n’aurait voulu se prêter à rien sans Corbière, M. de Villèle démêlait aisément le jeu évasif du ministère, se tenait dans la réserve et parlait de sa santé, de ses intérêts qui le rappelaient à Toulouse ; il avait assez de clairvoyance pour comprendre que rien ne pressait, qu’une décision immédiate pouvait être épineuse pour le gouvernement aussi bien que pour lui-même. Il écrivait à Mme de Villèle : « Vois la difficulté des circonstances ; considère qu’après avoir amené les royalistes au système de concessions qu’ils ont