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défrayait nos vers latins de collège, emplit sa poésie. Il sait amplifier par énumération, au début d’Aman ; par répétition, en variant le ton et l’expression, dans Hector, où s’égrènent comme un chapelet une vingtaine de maximes, enfilées bout à bout autour de la même idée :


Il vaut mieux, bien faisant, vivre un jour seulement,
Que durer un long siècle et vivre oisivement.


De place en place, je reconnais les plus célèbres vers de Virgile ou d’Horace, une allégorie du Phèdre de Platon, les images les plus fameuses des livres saints. Enfin, ce sont tous les procédés qu’un écolier intelligent et laborieux emploie dans ses compositions. Avec Montchrétien, notre poésie fait sa rhétorique : cela est sensible.

Heureusement, elle l’achève, et comme dans des devoirs d’élève se sont dessinés les premiers traits du talent d’un About ou d’un Taine, de même, tout n’est pas réminiscence et pastiche dans ces tragédies de collège. On ne peut dire où finit l’imitation, où commence l’originalité : ce qu’il y a de sûr, c’est que dans l’imitation éclôt l’originalité. La jeune poésie sort de l’œuf. Oubliez que ce sont des tragédies ; disloquez, démembrez ces actes et ces scènes. Ce ne sont pas des tableaux de la vie humaine, ni des portraits historiques : c’est une âme de poète qui s’ouvre. David, Marie Stuart, Hector, donnent l’air, si vous voulez : la chanson est de Montchrétien. Et la chanson est charmante, souvent : Montchrétien est un de nos derniers et plus exquis lyriques, avant le règne du bon sens éloquent.

Que de traits pittoresques, que de fraîches images, que de tendres accens, que de strophes mélodieuses éclatent à chaque page de ces prétendues tragédies ! C’est Marie Stuart, racontant son enfance malheureuse,


Comme si dès ce temps la fortune inhumaine
Eût voulu m’allaiter de tristesse et de peine,


et tant d’autres vers délicieusement soupires, auxquels M. Faguet, dans sa pénétrante étude sur la Tragédie au XVIe siècle, ne s’est pas trompé. Il l’ajustement caractérisé : Montchrétien est un élé-giaque. Toutes les situations tragiques tournent naturellement pour lui en élégies ardentes ou molles. Élégie, la plainte d’Andromaque après la mort d’Hector ; élégie, le début de David où le vieux roi, consumé d’amour pour Bethsabée, déplore le tourment qui sèche son corps et


L’importune longueur des douloureuses nuits.