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vigoureux élan que lui ont imprimé les humanistes et Ronsard pour l’enlever violemment à la hauteur des œuvres antiques, après les convulsions aussi des passions politiques et religieuses qui lui ont fait courir tant d’aventures et suivre tant de nouveautés. Le temps des enthousiasmes fougueux, des luttes forcenées et des hautes ambitions est passé : l’esprit français, un peu las et recru, ne renonce pas à son idéal ; en littérature, en politique, en religion, il s’apaise, il désarme ; il sent de nouveaux besoins d’ordre et de stabilité, il se soumet aux autorités légitimes et accepte les compromis nécessaires. Docile et déposant ses haines, il laisse la main du roi amalgamer et fondre les partis. Renonçant à retrouver l’Évangile et la religion des apôtres, il reste catholique : ne prétendant plus ressusciter l’âme grecque ou latine, il redevient Français. Mais ses ardeurs littéraires comme sa fièvre religieuse lui ont profité : il a rajeuni sa croyance aux sources vives de l’Écriture, élargi son goût au contact de la pure beauté des œuvres antiques. Il retourne doucement à son naturel, fortifié à jamais, et pourtant un peu alangui encore de son immense effort. Il s’abandonne et savoure le plaisir nouveau de ne pas se contraindre : de là cette composition un peu lâche, cette abondance diffuse, ce jaillissement intarissable et paisible dépensées, et cette limpidité unie, cette largeur étale du style fluide et lent. L’imagination renonce à la force et se repose dans la grâce : c’est une absence de tension, un éclat aimable et doux, une nonchalance qui cherche plus la variété que l’intensité des tons. Il y a quelque chose de suranné et de charmant, de vieillot et de jeune dans toutes les œuvres du temps : œuvres d’un esprit qui n’est pas mûr, mais dont la jeunesse s’est un peu surmenée. Le fond est sain et robuste, mais il reste des excès passés un peu de lassitude molle dans les attitudes et comme quelques rides sur un jeune visage. Il reste aussi des anciens commerces quelques affectations passées en habitude, un peu trop de goût pour les broderies de la rhétorique et les fleurs de l’érudition : mais ces atours trop peu simples sont portés avec tant de simplicité qu’ils ont presque l’air d’un négligé. Laissez faire le temps, le repos et la bonne constitution : toutes les traces d’excès et de fatigue imprimées sur ce beau et vigoureux naturel s’effaceront. Déjà le gain est sensible ; l’esprit français, en se détendant, ne se ramène pas à ses anciennes limites ; à force de s’étirer, il a grandi ; à force de se guinder, il s’est haussé. Il s’est développé, épanoui, enrichi. S’il se plaît encore aux digressions, il sait où il va pourtant, et il y va sûrement, encore que paresseusement, s’arrêtant plutôt que s’égarant en chemin. Il se souvient encore abondamment des anciens et se fleurit de ses souvenirs : mais il a passé le temps des simples décalques ; il pense, selon sa matière, sans trop s’inquiéter de ce