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tout haut et préparant leur règne par des mesures d’exception. Je crois, pour mon compte, la position désespérée. Le règne du roi est fini, celui de son successeur va commencer… Le nouveau ministère supplie instamment qu’on ait confiance en lui, qu’on lui donne les lois d’exception, qu’on ne précipite pas les choses jusqu’aux ultras, et proteste de ses bonnes intentions dont je suis bien convaincu ; mais que fait tout cela ? .. Il est aisé de voir que M. de Richelieu, qui n’est là qu’à son corps défendant, ne peut résister, maintenant que le roi est livré sans défense aux sollicitations de sa famille[1]. » M. de Broglie, en anticipant un peu, ne laissait pas de voir clair, de démêler ou de pressentir l’irrésistible force des choses.

Non sans doute, dans sa candeur d’honnête homme et dans sa clairvoyance de premier ministre, M. de Richelieu ne voulait pas être un réactionnaire. Malheureusement c’était la situation tout entière, plus forte que la volonté des hommes, qui était réactionnaire, c’est-à-dire dominée par la secrète logique du temps. Elle était réactionnaire de toute façon, d’abord par suite de l’état même de l’Europe, de l’énergie de résistance absolutiste réveillée dans les conseils du continent par les explosions révolutionnaires qui se produisaient en Espagne, en Italie. Elle était réactionnaire par ce courant d’opinion effarée que venait de créer en France le meurtre du 13 février, par ces lois d’exception sur la liberté individuelle, sur la presse que M. Decazes avait léguées en héritage, que le nouveau ministère ne croyait pas devoir répudier et qu’il ne pouvait cependant faire voter qu’avec l’appui des royalistes, — sauf les « ultras » les plus violens. Elle était réactionnaire surtout par cette loi des élections qu’on préparait depuis trois mois, qui, remaniée sous la pression des événemens, finissait par n’avoir plus d’autre objet que de fortifier par les deux collèges, par le double vote, les influences conservatrices, et qui allait être pour les partis, pour le gouvernement lui-même, l’épreuve décisive.

Tant qu’il ne s’agissait que de projets vaguement ébauchés dans des conseils intimes, ce n’était rien encore, presque tout le monde sentait la nécessité d’une révision de la loi électorale. Il fallait bien cependant arriver à un résultat pratique : c’était la condition de l’appui des royalistes. On avait été d’abord détourné par les tragiques diversions du moment ; on avait aussi ajourné la loi par considération pour M. de Serre, qui avait été le promoteur de la réforme et qui cherchait à réparer sous le climat de Nice une santé

  1. Correspondance du comte de Serre, t. III : lettre du duc de Broglie, 23 février 1820.