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gueux des bois. Armés d’un mousquet jeté sur le dos, d’un poignard à la ceinture et d’une longue demi-pique qui les aidait à franchir les fossés, ces bandits, gens vigoureux et décidés s’il en fut, répandaient la terreur autour d’eux. Ils en voulaient surtout aux prêtres et aux officiers de justice. Quand ils tombaient eux-mêmes aux mains des Espagnols, leur sort était vite réglé. Les Espagnols les enfermaient tout vivans dans un tonneau et les faisaient rôtir à petit feu.

Frères des gueux des bois, les gueux de mer étaient tout simplement des pirates. De temps immémorial, les côtes de la Mer du Nord avaient été infestées par la piraterie. On se rappelait encore cette association redoutable de brigands qui, sous le nom de frères vitaliens, vécut pendant plus d’un siècle aux dépens des villes hanséatiques. Chassés de l’île de Gothland, les vitaliens s’établirent, vers l’année 1397, sur le littoral de la Frise. Ils y occupèrent des repaires fortifiés, se firent battre, sans se laisser détruire, par les vaisseaux de Lubeck et de Hambourg unis aux vaisseaux de Brème, de Groningue, de Kampen, de Deventer, s’allièrent aux « Chenapans » et aux « Flibustiers, » autres hordes de bandits maritimes, et finirent, après avoir ravagé les embouchures de l’Ems et du Weser, par disparaître devant une indignation générale. Les gueux de mer furent les héritiers naturels des vitaliens. Toutes les côtes profondément découpées ont eu, chaque fois que la police navale s’est relâchée, leurs vitaliens, leurs gueux de mer, ou leurs Uscoques.

Des brigands, des pirates, si audacieux qu’ils soient, ne composent pas une armée. Donnez-leur un chef respecté, ils sont capables de fonder Rome. Guillaume d’Orange fut le chef que toutes ces bandes éparses attendaient.

« On a vu affichée à Anvers, » chantait la chronique rimée dont les fragmens composent encore l’Iliade de la révolution flamande, « une ordonnance du conseil. Cette ordonnance défendait d’enseigner la parole de Dieu aux gens simples. Les bourgeois se sont lamentés, à la réjouissance des papistes. Le 11 avril, à sept heures du matin, le prince se présente avec sa suite sur la place de Meyr. « Qui aime la parole de Dieu me suive ! » dit-il à la foule. Il pleurait, en songeant à la grande oppression qui allait peser sur nous. Tous, grands et petits, pleuraient avec lui ; tous lui criaient : « Nous vous suivrons et n’en suivrons pas d’autres. Ne nous abandonnez pas, car avec vous nous voulons vivre et mourir. » Les uns le suivaient à pied, les autres à cheval. Beaucoup cependant hésitaient encore, retenus par leur intérêt. « Éloignez-vous, gens irrésolus, » leur criait le prince. De honte on les voyait rougir. Combien d’entre eux eurent sujet de se repentir ! Il y eut bien vingt mille élus qui