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digne de sa confiance. Sans vouloir méconnaître le prestige qu’exerçait au XVIe siècle la royauté, il est permis de mettre en doute l’efficacité de l’intervention personnelle du monarque dans une crise qui avait pris sa source au cœur de la nation. L’ardeur de la séparation était telle qu’elle aurait probablement franchi cette barrière comme elle a franchi toutes les autres.

Le duc de Savoie, gouverneur des Pays-Bas aux jours des batailles de Saint-Quentin et de Gravelines, était rentré dans les états que lui restituait la victoire. Il avait fallu lui trouver un successeur. Le choix fut heureux. Au prince d’Orange et au comte d’Egmont, le premier peu sûr, le second peu capable, Philippe II préféra sagement sa sœur la duchesse de Parme, fille naturelle de Charles-Quint. Issue d’une famille respectable d’Oudenarde, adoptée par la grande maison de Hoogstraten, confiée dès son enfance à Marguerite de Savoie, tante de l’empereur, d’abord, puis, à la mort de Marguerite, à la reine douairière de Hongrie Marie, sœur de son père, c’est-à-dire à deux princesses successivement régentes des Pays-Bas, Marguerite était née Flamande, avait reçu une éducation flamande, et semblait particulièrement désignée pour gouverner des Flamands. Il y avait du moins quelque chance pour qu’elle les comprît et qu’elle les aimât, circonstance qui aida singulièrement le gouvernement de Charles-Quint et qui eût complètement manqué au gouvernement direct de Philippe II, Espagnol de naissance, Espagnol par ses goûts, Espagnol on peut presque dire d’instinct. Philippe II entoura d’ailleurs sa sœur de trois conseils : un conseil des finances, un conseil privé, un conseil d’État. En réalité, il remit le pouvoir aux mains exercées de l’évêque d’Arras, Antoine Perrenot, plus connu dans l’histoire sous le nom de cardinal Granvelle. Au milieu des grands hommes d’État qu’a produits l’Église romaine, le cardinal Granvelle a droit à une place à part. Il avait alors quarante-deux ans. Brave jusqu’à l’imprudence, doué d’une finesse extrême, entièrement dévoué à son maître, enclin "néanmoins par tempérament aux moyens habiles plutôt qu’aux moyens extrêmes, fort occupé de mettre de l’ordre dans ses propres finances, l’évêque d’Arras, devenu archevêque de Malines, offrait le plus complet contraste avec ces seigneurs bruyans, endettés, presque toujours ivres, qu’il tenait en respect par sa réserve hautaine.

« Nous ne sommes plus que bien peu en ce monde, lui écrivait Philippe II, qui ayons souci de la religion. Mieux vaut tout perdre que manquer sous ce rapport à notre devoir. » — Tout perdre ! ce n’était pas l’avis de Granvelle. L’astucieux prélat estimait au contraire qu’un mélange de douceur et de force pouvait