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cependant pas facile, et plus que jamais M. de Villèle avait à compter avec ses amis, ces « malheureux royalistes, » comme il les appelait, qu’on travaillait de toutes les manières pour les pousser à de nouvelles folies. « Hier soir, poursuivait-il, Corbière et moi réunis, nous avons eu une peine infinie à ramener nos amis, qui voulaient continuer à tout rejeter, comme sous M. Decazes. Nous avions beau leur demander où cela les mènerait, ils étaient peu touchés de nos observations et demandaient à leur tour où ils arriveraient en soutenant un système aussi débile que celui-ci. La vérité est que notre situation, dans cette chambre et avec ce gouvernement, est hérissée de difficultés. »

C’est qu’en effet, même à l’abri d’un nom symbole de loyauté, la situation n’était ni aisée ni claire, et si M. de Villèle agissait avec la prudente raison d’un homme qui ne voulait pas trop exiger, de peur de tout compromettre, les ultras, avec l’instinct ombrageux des partis violens, ne se trompaient qu’à demi dans leurs défiances. M. de Richelieu était certainement sincère lorsqu’il voulait réconcilier les royalistes, qui, tous réunis, disait-il, n’étaient pas trop forts pour tenir tête à l’orage, lorsqu’il s’efforçait de les rallier par ses bons procédés, même par sa promesse des réparations et des emplois. Il n’entendait pas, cependant, se faire l’homme des ultras et se livrer à eux. Il était soutenu dans cette résolution par le ministre des affaires étrangères, M. Pasquier, qui, dans ces heures de crise, montrait autant d’activité que de courage. Il trouvait un écho de sa propre pensée chez M. de Serre, qui, éloigné par la maladie, désespéré de son inaction, écrivait de Nice au roi, avec des nuances caractéristiques : « J’ose admirer l’âme royale qui, tout en faisant au bien public, à la nécessité des temps le sacrifice de ses affections, résiste cependant aux fureurs des partis et maintient ferme le système de modération que, pour le salut de la France, Votre Majesté s’est prescrit… » M. de Richelieu, avec ses collègues, qui avaient été ceux de M. Decazes, se flattait encore de pouvoir rester fidèle à ce « système de modération, » de maintenir, par son autorité persuasive, un certain équilibre entre les partis. Il croyait ce qu’il désirait ; il se faisait une généreuse illusion, et le duc de Broglie, le jeune libéral que M. de Serre avait pris pour collaborateur, avant la catastrophe du 13 février, dans la préparation de la loi nouvelle des élections, le duc de Broglie pouvait écrire au garde des sceaux, qui s’agitait dans sa solitude lointaine : «… Nous voici maintenant livrés à un ministère composé d’hommes modérés, mais sans énergie, sans esprit d’entreprise, et dont le désir ou l’illusion est de croire qu’ils vivoteront entre les deux partis, obéissant tout doucement aux ultras, en disant du mal