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vieillesse, parce qu’il faut bien que tout finisse ; alors on éprouvait pour la première fois un mouvement de gaîté en songeant au bon souper qui suivait cette froide représentation. C’est du théâtre larmoyant et sentimental : beaucoup de berquinades, un cours de morale en action, jamais rien de choquant ou de ridicule, pas un trait heureux, pas un mot piquant : on serait tenté de croire que l’auteur n’a point de beaux esprits à ses gages, point de rebouteurs littéraires, ou qu’elle les choisit bien mal. Elle prend ses sujets un peu partout ; Marianne, par exemple, est tirée du roman de Marivaux, l’Heureux échange du Spectateur, la Comtesse de Bar des Anecdotes secrètes de la cour de Bourgogne : Robert Sciats vise à consacrer une belle action de Montesquieu.

Il fallut donc que la vanité littéraire imprimât un ridicule à cette femme si bien défendue contre la moquerie : elle osa même risquer une pièce au Théâtre-Français, la Comtesse de Chazelles, comédie en cinq actes et en vers, inspirée des Liaisons dangereuses et de Clarisse Harlowe. Elle voulait garder l’anonyme, mais, plusieurs jours avant la représentation, le public la désignait, en même temps que d’autres personnes, Montesquiou, Ségur, la comtesse de Balbi, Monsieur, frère du roi. La Comtesse de Chazelles tomba à plat, malgré les promesses de Mole qui avait conseillé cette équipée, et Mme de Montesson n’hésita plus à se déclarer ; même elle publia ses œuvres en huit volumes, à un petit nombre d’exemplaires. « Mon caractère, écrit-elle, ne pouvait se prêter à la fausseté continuelle dont il aurait fallu m’armer pour sauver mon amour-propre. » Elle ne prétendait pas défendre son esprit, elle demandait seulement qu’on rendît justice au but moral qu’elle poursuivait, et bravement, en appelait du parterre au lecteur. Ce dernier, hélas ! ratifia la sentence, et, à l’exception d’une petite pièce en un acte, l’Aventurier comme il y en a peu, son théâtre parut aussi ennuyeux que décent. A la représentation de la Comtesse de Chazelles, un singulier stratagème avait été ourdi par trois gentilshommes, dont les relations intimes avec le duc d’Orléans rendaient la félonie plus impardonnable encore. Tandis qu’ils applaudissaient à grand renfort de battoirs sur l’avant de la loge, ils tenaient sous leurs pieds cette sorte de soufflet qui sert aux chasseurs pour appeler cailles, faisans, perdreaux, etc. Ainsi les pieds marchant contre les mains, transformèrent la loge en une volière infernale. Pour toute vengeance, le duc d’Orléans se contenta de suspendre à un beau ruban un des appeaux oubliés par mégarde, et le fit clouer dans le cabinet de la marquise entre les deux statues de la Bienfaisance et de l’Amitié. Et depuis, lorsqu’une pièce était soupçonnée mauvaise, on disait, en guise de dicton, qu’on redoutait contre elle la Conspiration des perdrix.