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police avertie les arrête et fait déguerpir la dame ; étant ivre, il a perdu au jeu 500 louis, un prêtre vient les lui restituer. Un grand seigneur fort séduisant courtise sa femme ; admirez le miracle ; sage sans bigoterie, pieuse sans pruderie, celle-ci aime son mari ou du moins sait rester fidèle. Enfin, on lui a promis, moyennant 1,000 livres, les prémices d’une fillette, mais fort à propos son chirurgien l’avertit de ne point s’y fier. C’en est trop, l’ivrogne ne boira plus, il deviendra le modèle des maris. Enfin, Collé avait si bien masqué son proverbe que peu de personnes de la société du prince en devinèrent l’application : peut-être la difficulté de deviner provenait-elle de l’embarras du choix.

Le Journal historique et la Correspondance inédite comptent, à bon droit, parmi les documens curieux de l’époque : on y trouve d’abord un style simple, franc de collier, nourri d’expressions qui font image et exhalent comme un parfum de vieux terroir gaulois, des portraits à l’emporte-pièce, tracés un peu au hasard, à la billebaude, d’après l’inspiration du moment, l’histoire intime des théâtres et des comédiens, une nuée d’anecdotes piquantes. Collé a le sens de l’agréable, qualité plus rare qu’on ne croit, absolument indispensable aux faiseurs de mémoires, qui excuse ou atténue l’absence d’autres dons ; car il ne suffit pas toujours d’écrire des livres fortement pensés, de combiner dans un ordre savant des raisonnemens bien enchaînés ; il faut encore, si l’on veut faire balle sur le public, l’assaisonnement, le charme, et, pour un Pascal, un Bossuet, qui, à force de grandeur, entraînent tous les esprits dans le torrent de leur génie, combien d’écrivains, et parmi les plus illustres, n’ont pas dédaigné de plaire afin de mieux convaincre ! Sachons donc quelque gré aux talens secondaires des heures aimables qu’ils nous procurent : n’ont-ils pas aussi cette utilité de nous initier à des lectures plus austères, comme les livres d’images habituent les enfans à aborder sans ennui les ouvrages sérieux ?

Voulez-vous un échantillon de portrait anecdotique de Collé ? Voici comment il nous présente l’abbé de Boismorand, surnommé l’abbé sacredieu, parce qu’il jurait comme un païen ; homme d’esprit, prédicateur éloquent et joueur déterminé : « C’est lui qui a fait les lactums pour les jésuites dans l’affaire de Lacadière et du père Girard ; mais ce que bien des gens ignorent, c’est que la traduction du Paradis perdu de Milton est de lui, quoiqu’il ne sût pas l’anglais. M. Dupré de Saint-Maur, assisté de son maître d’anglais, lui rendait les phrases, et cet abbé mettait leur français en français véritable et y donnait cette âme, cette vie et cette chaleur que Dupré était incapable d’y mettre ! C’est pourtant cette prétendue traduction qui a valu l’Académie à cet automate… L’abbé