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trouvait le maréchal, je partis au trot avec tout mon régiment pour lui porter un prompt secours. Il était temps que nous arrivassions, car, bien que le maréchal se fût barricadé dans une maison en pierres où il avait réuni à ses aides-de-camp et à ses gens une douzaine de soldats français qui rejoignaient l’armée et où il se défendait vaillamment, il allait néanmoins être forcé par les dragons russes lorsque nous arrivâmes.

En nous voyant, les ennemis remontèrent à cheval et prirent la fuite ; mes cavaliers les poursuivirent à outrance, en tuèrent une vingtaine et firent quelques prisonniers. J’eus 2 hommes blessés. Le maréchal Oudinot, heureux d’avoir échappé aux mains des Russes, nous exprima sa reconnaissance, et mon régiment l’escorta jusqu’à ce que, arrivé dans les cantonnemens français, il fût hors de danger.

A l’époque dont je parle, tous les maréchaux de l’empire paraissaient résolus à ne pas reconnaître entre eux les droits de l’ancienneté, car aucun ne voulait servir sous un de ses camarades, quelle que fût la gravité des circonstances. Aussi, dès qu’Oudinot eut repris le commandement du 2e corps, Victor, plutôt que de rester sous ses ordres pour combattre Wittgenstein, se sépara de lui et se dirigea vers Kokanow avec ses 25,000 hommes.

Le maréchal Oudinot, resté seul, promena ses troupes pendant quelques jours dans diverses parties de la province et finit par établir son quartier-général à Tchéréia, ayant son avant-garde à Lomkoulm.

Ce fut pendant un petit combat, soutenu devant cette ville par la brigade Castex, que me parvint ma nomination au grade de colonel.

Si vous considérez que j’avais reçu comme chef d’escadrons une blessure à Znaïm, deux à Miranda de Corvo, une à Jacoubowo, fait quatre campagnes dans le même grade et qu’enfin je commandais un régiment depuis l’entrée des Français en Russie, vous penserez peut-être que j’avais bien acquis mes épaulettes. Je n’en fus pas moins reconnaissant envers l’empereur, surtout en apprenant qu’il me maintenait au 23e de chasseurs, que j’affectionnais beaucoup et dont j’avais la certitude d’être aussi aimé qu’estimé. En effet, la joie fut grande dans tous les rangs, et les braves que j’avais si souvent menés au combat vinrent tous, soldats comme officiers, m’exprimer la satisfaction qu’ils éprouvaient de me conserver pour leur chef…

Cependant, la situation de l’armée française s’aggravait chaque jour. Le feld-maréchal Schwarzenberg, commandant en chef du corps autrichien dont Napoléon avait formé l’aile droite de sa Grande armée, venait, par la trahison la plus infâme, de laisser passer