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colonne pour en prévenir la troupe, certain que chacun approuverait mon projet et me suivrait avec résolution ! .. J’avouerai néanmoins que je n’étais pas sans inquiétude, car l’infanterie ennemie pouvait prendre les armes au premier cri d’un factionnaire et me tuer beaucoup de monde pendant que le régiment défilerait devant elle.

J’étais dans ces anxiétés, lorsque le paysan qui nous guidait part d’un grand éclat de rire et Lorentz en fait autant ! .. En vain, je questionne celui-ci ; il rit toujours, et ne sachant pas assez bien le français pour expliquer le cas extraordinaire qui se présentait, il nous montre son manteau sur lequel venait de se poser un des nombreux feux follets que nous avions pris pour des feux de bivouac ! .. Ce phénomène était produit par les émanations des marais, condensées par une petite gelée après une journée d’automne dont le soleil avait été très chaud. En peu de temps, tout le régiment fut couvert de ces feux gros comme des œufs, ce qui amusa beaucoup les soldats.

Ainsi remis d’une des plus vives alarmes que j’eusse jamais éprouvées, je regagnai Zapolé.

Au bout de quelques jours, il m’échut une mission dans laquelle nous n’eûmes plus à braver le feu follet, mais bien les mousquetons des dragons russes.

Un jour que le général Castex s’était rendu à Sienno auprès du maréchal Victor et que, le 24e de chasseurs étant en expédition, mon régiment se trouvait à Zapolé, je vois arriver deux paysans et reconnais dans l’un d’eux M. de Bourgoing, capitaine aide-de-camp d’Oudinot. Ce maréchal, qui s’était rendu à Wilna après avoir été blessé à Polotsk, le 18 août, ayant appris que Saint-Cyr, blessé à son tour le 18 octobre, venait de quitter l’armée, avait résolu de rejoindre le 2e corps et d’en reprendre le commandement.

Oudinot, sachant que ses troupes étaient dans les environs de Sienno, se dirigeait vers cette ville, lorsqu’arrivé à Rasna, il fut prévenu par un prêtre polonais qu’un parti de dragons russes et de cosaques rôdait auprès de là. Mais comme le maréchal apprit en même temps qu’il y avait de la cavalerie française à Zapolé, il résolut d’écrire au commandant de ce poste pour demander une forte escorte et il expédia sa lettre par M. de Bourgoing, qui, pour plus de sûreté, se déguisa en paysan. Bien lui en prit, car à peine était-il à une lieue qu’il fut rencontré par un fort détachement de cavaliers ennemis, qui, le prenant pour un habitant de la contrée, ne firent aucune attention à lui. Peu de momens après, M. de Bourgoing, entendant plusieurs coups de feu, pressa sa marche et parvint à Zapolé.

Dès qu’il m’eut informé de la position critique dans laquelle se