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collègues à ses vues ni à faire un cabinet avec les royalistes. Le seul résultat de cette crise intime et laborieuse avait été la formation d’un ministère nouveau, décidément favorable au maintien de la loi électorale, plus que jamais libéral avec M. Decazes, avec M. de Serre, qui portait le feu de son âme et de son éloquence au pouvoir. Qu’arrivait-il alors ? Avant qu’une année fût passée, l’élection de Grégoire, bien autrement significative, bien autrement retentissante que celle des Sébastiani, des Foy, des Lambrecht, ramenait aux mêmes problèmes, aux mêmes anxiétés.

Ceux qui un an auparavant avaient pris ou gardé le pouvoir pour maintenir la loi électorale en étaient désormais à l’abandonner, à sentir le danger comme M. de Richelieu l’avait senti. M. Decazes lui-même ne défendait plus la loi. M. de Serre, avec son imagination ardente, rêvait une vaste réforme constitutionnelle qui réaliserait le miracle de garantir à la fois les libertés et la monarchie battue par le flot révolutionnaire. M. de Villèle, appelé de nouveau à Paris à la veille de la session, reparaissait comme le plénipotentiaire du royalisme alarmé et mécontent. Ainsi, par un étrange retour, par une secrète force des choses, le mouvement inauguré au 5 septembre revenait pour ainsi dire sur lui-même. Les royalistes, refoulés depuis trois ans dans la minorité, naguère encore combattus et traités en ennemis par les ministres, désavoués par le roi, reprenaient position. On les craignait encore, on ne voulait pas « tomber sous leur dépendance, » — on sentait le besoin de négocier avec eux. On avouait que tout le mal venait de la division des royalistes, que par peur des « ultras » on s’était « posté un peu trop en avant sur la ligne opposée[1]. » L’évolution suivait son cours, — en attendant le coup de foudre qui allait la précipiter, — et c’est ici, c’est dans ce travail obscur, compliqué et tourmenté, que M. de Villèle a un rôle décisif, grandissant dans son parti, dans les affaires publiques.

Je voudrais préciser cette situation à la veille d’une de ces catastrophes qui éclairent parfois d’une lueur sinistre les crises politiques d’un pays et décident des événemens. En réalité, parmi ces royalistes qui depuis trois ans formaient une opposition redoutable, il y avait toujours deux courans, deux esprits. Il y avait les royalistes irrités et emportés qui gardaient l’inguérissable blessure du 5 septembre et le ressentiment de la disgrâce qui les frappait, dont le roi lui-même ne leur ménageait pas les témoignages. Ils

  1. Voir dans la Correspondance de M. de Serre, publiée par son fils, les lettres qui ont trait à ce moment précis des grandes résolutions pour le ministère.