Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’engager par des actes personnels, ostensibles de sympathie. D’un autre côté, il est vrai, — on l’a remarqué, — les principaux ministres, lord Salisbury en tête, n’ont pas paru aux fêtes d’Osborne et de Portsmouth ; ils semblent même avoir mis une certaine affectation à s’effacer. Est-ce donc alors que lord Salisbury, en laissant la reine et le premier lord de l’amirauté déployer la courtoisie anglaise à l’égard de nos marins, a cru devoir se réserver ou éviter de paraître se désavouer en passant trop brusquement des récentes fêtes données à l’empereur d’Allemagne aux fêtes données à l’escadre française ? Le plus vraisemblable est qu’il y a un peu de tout dans ces derniers incidens, que l’Angleterre, frappée de la situation nouvelle créée ou révélée par l’événement de Cronstadt, a eu certainement l’intention de se mettre en garde contre l’imprévu. On l’avait peut-être trop engagée avec la triple alliance ; elle a tenu à se dégager, à rétablir l’équilibre, en reprenant sa place de puissance indépendante entre l’alliance franco-russe qu’elle voyait poindre et la triple alliance qui a peut-être trop vite compté sur elle. L’Angleterre a voulu prouver à la république française, aussi bien qu’au tsar, qu’elle était moins liée qu’on ne le prétendait, qu’elle restait maîtresse de sa politique, et elle a profité de la visite de nos marins pour donner son coup de barre, pour remettre une sorte d’aisance dans ses rapports avec la France. Lord Salisbury a laissé faire, — et mieux encore peut-être que son premier ministre, la reine, par son intervention, a fait les affaires de son pays.

Une chose est certaine dans tous les cas, c’est que cette escadre française qui depuis un mois a fait quelque bruit dans le monde et qui vient à peine de quitter Portsmouth pour rentrer à Cherbourg aura eu une fortune rare ; elle aura été l’occasion de singulières surprises, et bien que les rôles personnels s’effacent dans ces grands mouvemens de la politique, on pourrait remarquer un fait qui est peut-être un nouveau gage d’espérance ; on a pu voir combien il est vrai qu’en France il y a toujours des hommes pour toutes les situations. La race n’en est pas perdue. Assurément, il y a trois mois comme aujourd’hui, M. l’amiral Gervais était un vaillant et habile officier ; il était peu connu en dehors de la marine. Un jour il est désigné par le gouvernement pour remplir une mission qui ne laissait pas d’être délicate, et du premier coup, sans effort, sans embarras, il s’est révélé l’homme de sa mission. Depuis plus d’un mois, M. l’amiral Gervais a parcouru tous ces parages entre le golfe de Finlande et la Manche, visitant le Danemark, la Suède avant la Russie, et après la Russie, les côtes d’Angleterre. Il a vécu au milieu des ovations, des réceptions de cour, des manifestations de toute sorte ; il a eu à porter des toasts, à répondre à des discours, et en toute circonstance, partout, à Saint-Pétersbourg comme à Portsmouth, il a montré autant de simplicité que de dignité ;