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l’autre, en offrant ce qu’on pourrait appeler un objectif nouveau aux passions de secte. C’est un phénomène qui s’est reproduit souvent en France. Toutes les fois que les influences religieuses ont essayé de se concentrer sous une forme saisissable, distincte, et ont paru vouloir s’organiser pour décider de la direction des affaires, des gouvernemens, et prétendre en un mot au pouvoir politique, elles n’ont pas tardé à réveiller les défiances, les susceptibilités d’opinion ; elles ont bientôt pris le nom suspect de « cléricalisme, » dont on s’est servi si passionnément, si aveuglément sans doute, mais en même temps avec une si redoutable efficacité dans un pays de traditions religieuses et d’esprit peu clérical. Tout ce qui ramènerait l’action catholique aux proportions d’un parti la rétrécirait infailliblement et la compromettrait encore une fois.

On a deux exemples frappans de ce que la politique de l’Église peut être et de ce qu’elle peut produire selon la direction qu’elle suit. A l’époque de la Restauration, les influences religieuses, savamment coordonnées, avaient pris un tel empire qu’elles s’imposaient au gouvernement, s’infiltraient jusque dans l’administration et disposaient de l’État en disposant de l’esprit du roi. Elles avaient toute la force d’une domination de parti. Elles finissaient par perdre la royauté en se ruinant elles-mêmes pour disparaître avec le régime qu’elles compromettaient. — Sous la monarchie de juillet, l’Eglise était plutôt suspecte ou surveillée et, dans tous les cas, laissée en dehors de la politique. Éclairée par une dure épreuve, elle se séparait des partis, elle cessait de se confondre avec le régime déchu ou avec des oppositions de faction. Elle restait dans son rôle, dans sa sphère religieuse, — et elle n’avait pas tardé à retrouver un singulier ascendant moral. Au lendemain de la révolution de 1830, on avait le sac de l’archevêché, la destruction des croix, les outrages publics au clergé ; au lendemain de la révolution de 1848, on avait les croix respectées, les piètres appelés par le peuple pour bénir les arbres de la liberté. Tel est l’effet des deux directions. — Ce qui fait la force de ce mouvement inauguré aujourd’hui par des évêques, c’est qu’il se produit justement en dehors des partis, des compétitions de régimes, échappant aux classifications ordinaires, représentant dans une société troublée par des conflits intestins un ensemble d’intérêts moraux qu’aucun gouvernement ne peut méconnaître sans péril. Ce qui en fait aussi la nouveauté, c’est qu’en commençant par s’affranchir des vieilles solidarités avec les monarchies, il donne un premier gage de paix à la république. M. l’évêque de Tréguier, qui porte le nom de M. le ministre de la justice, disait récemment : « Le saint-père a ordonné au clergé de France de ne pas livrer bataille aux institutions républicaines et de ne combattre que sur le terrain religieux. » C’est ce que M. le cardinal Lavigerie a toujours dit. En d’autres termes, on ne menace plus le régime d’une hostilité