Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Villèle avait si rapidement conquise était dans cette modération dont il n’avait pas seulement l’apparence, dont il avait le goût, — dans la nature d’un homme fait pour les transactions de la politique.

Par quelques-uns de ses instincts ou plutôt par ses engagemens de parti, il tenait sans doute aux royalistes, au monde des ultras. Il partageait leurs préjugés, leurs impatiences de répression, leurs ressentimens contre tout ce qui venait de la révolution et de l’empire, contre la conspiration des cent jours, contre les bonapartistes et les jacobins. Il se prêtait dans une certaine mesure à leurs colères, à leurs revendications ; il gémissait avec eux de l’aveuglement et des faiblesses de M. de Richelieu, de la faveur de M. Decazes, qu’il accusait de perdre la Restauration et le roi. Par sa raison, il était éloigné des violences et des excès. L’exécution du maréchal Ney lui pesait visiblement, et il ne cachait pas le regret que le gouvernement n’eût pas su laisser sortir du royaume « le grand proscrit. » Il avouait le mal qu’avaient fait les amis imprudens des Bourbons, les royalistes, par des a prétentions ambitieuses et des allures hautaines. » Et même dans la chambre où il passait pour un ultra, il ne suivait pas toujours ses terribles amis dans leurs excentricités ; il les blâmait, il était souvent obligé de réparer leurs fautes. Il n’avait pas surtout tardé à comprendre qu’il n’y avait désormais rien de mieux à faire que de s’attacher à la charte, et il écrivait coup sur coup à son père : « Nous nous trouvons dans l’absolue nécessité de nous emparer de la charte qui est le seul point auquel puissent se rallier tous les Français… Le caractère des personnes qui doivent influer le plus sur nos destinées ne laisse de ressource au pays que dans la consolidation d’un gouvernement représentatif fortement constitué. C’est ce que je puis vous garantir comme en étant bien convaincu moi-même, et vous savez que je n’ai pas toujours été de cet avis. » C’était sûrement un royaliste décidé ; c’était aussi un tacticien, qui n’avait ni le royalisme d’imagination et d’ambition de M. de Chateaubriand, ni le royalisme aux passions implacables de M. de La Bourdonnaye, qui avait l’art de s’imposer par une raison éclairée, par une adroite et patiente habileté.

Il avait eu la fortune de trouver dès les premiers momens, dans cette chambre de 1815, un compagnon ou, si l’on veut, un complice dans un nouveau-venu comme lui, arrivant de Bretagne, comme lui de Gascogne, M. Corbière. Ils différaient, à la vérité,