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la démonstration mathématique, est synonyme de certitude. L’expérience peut toujours être refaite par celui qui doute de ses résultats, et la déduction, dont le principe est une vérité incontestée, s’impose à tout esprit, capable de la suivre, irrésistiblement. Léonard parle ici le langage d’Auguste Comte : « Où l’on crie (dove si grida), il n’y a pas vraie science, parce que la vérité a une seule conclusion (un sol termine) qui, publiée, détruit le litige pour jamais (il lettigio resta in eterno distrutto), et si le débat renaît, c’est qu’il s’agit d’une science menteuse et confuse. La vraie science est celle que l’expérience fait pénétrer par les sens, imposant silence à la langue des disputeurs. Elle ne nourrit pas de songes ses investigateurs, mais toujours des premiers principes vrais et connus, elle s’avance progressivement et avec des conséquences vraies jusqu’à la fin. C’est ce que nous voyons dans les premières mathématiques, dont l’objet est le nombre et la mesure, l’arithmétique et la géométrie, qui traitent avec une souveraine vérité de la quantité discontinue et continue. On ne discute pas sur la question de savoir si 2 fois 3 font plus ou moins que 6, si un triangle a ses angles moindres que deux angles droits, mais avec un éternel silence reste détruite toute controverse, et en paix les dévots de ces sciences jouissent de leurs fruits[1]. »

La science n’est pas seulement certitude, elle est puissance. La pratique ne se sépare pas de la théorie, elle la continue. Qui sépare le pouvoir du savoir se réduit à un vain empirisme. « Ceux qui s’éprennent (s’inamoran) de pratique sans science sont comme le navigateur qui monte sur un navire sans gouvernail ni boussole, il ne sait jamais avec certitude où il va. Toujours la pratique doit être édifiée sur la bonne théorie. » C’est seulement en éclairant sa route que l’industrie peut suivre une marche régulière et progressive. « Étudie d’abord la science, puis suis la pratique qui naît de cette science. » Toute loi connue devient un moyen d’action. Une machine n’est qu’une combinaison de lois naturelles dirigées dans leur action. « Quand tu exposeras la science des mouvemens de l’eau, souviens-toi de mettre sous chaque

  1. Tratt. d. P., § 33. — Cf. Novum organum, I, LXXVI. — Il semble, d’après ce passage, que Léonard confonde les sciences mathématiques avec les sciences expérimentales. Mais il n’a ici d’autre préoccupation que celle de montrer que la certitude est le caractère de la vraie science. Un texte du manuscrit F, 59 r°, montre que la distinction de la nature et de la méthode des deux ordres de sciences ne lui échappe pas. « L’autre preuve, dit-il, que donna Platon à ceux de Délos, n’est pas géométrique, parce qu’elle procède par instrument de règle et compas, et que l’expérience nous la montre (ella sperienzia noi la mostra), mais celle-ci est toute mentale (e tutta mentale) et par conséquent géométrique. » C’est par inadvertance, sans doute, que M. Ch. Ravaisson traduit : « Et l’expérience ne le montre pas. »