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premier travail préparait, dans sa pensée, le travail définitif, la rédaction de traités suivis, où il eût coordonné ces notes selon leur objet. C’est ce second travail qui n’a jamais été fait.

Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’en être surpris. A la fin du XVe siècle, la science a gardé son caractère d’universalité. Pour le scolastique, rien de plus simple : la science est faite. Le monde, l’homme qui le pense, Dieu qui le crée, c’est l’affaire de quelques in-folio. Son esprit, comme son univers, est un système clos. Il sait où commence la science, où elle finit, ses divisions et leur ordre, il sait après combien de sphères célestes on touche enfin le paradis et on entre dans le royaume de Dieu. Léonard découvre un monde dont les limites reculent sans cesse devant lui. Il regarde, et les phénomènes se multiplient sous ses yeux. Conduit de la pratique à la théorie, il va de l’art de l’ingénieur à toutes les sciences qu’il suppose, de l’invention des machines à la mécanique, de la peinture à la perspective, à l’optique, à l’anatomie, à la botanique. Dans la tranchée d’un canal, les couches de terrain superposées, quelques coquilles marines lui racontent l’histoire de la terre : il crée la géologie. Sans perdre le sentiment de l’unité des choses qui, au contraire, l’a porté en tous sens, il n’a pas arrêté le plan d’une encyclopédie. La méthode qu’il suivait, le perpétuel contrôle de ses idées par les faits, son goût même de la vérité lui interdisaient les ambitions hâtives. Il ne pouvait classer d’avance et selon leurs relations des connaissances qu’il acquérait au jour le jour. Le système ne pouvait être au commencement, il devait être à la fin, n’étant que la concordance des vérités particulières dans une vérité plus compréhensive et plus haute.

Telle semble bien avoir été la marche de l’esprit de Léonard. Il observe des faits, il prend des notes ; peu à peu ces matériaux s’ordonnent dans son esprit ; il conçoit des chapitres ; ces chapitres forment des traités, et ces traités se reliant l’un à l’autre portent sur des sujets de plus en plus étendus, à mesure que se découvrent les rapports des choses. C’est ainsi qu’il cite ses propres ouvrages, ou mieux ceux qu’il avait l’intention de faire, sous des titres qui indiquent tantôt un chapitre, tantôt un traité, tantôt même un ouvrage dont les traités auraient formé divers livres. Suivant le plan que donne un manuscrit de Windsor, l’anatomie comprendrait les traités suivans, que nous trouvons cités çà et là : de la mesure universelle de l’homme ; — de quelques muscles et de tous les muscles ; — des articulations de l’homme ; — livre des mouvemens ; et peut-être, en y comprenant l’anatomie comparée : le livre des oiseaux, — la description des animaux à quatre pieds ; — l’anatomie du cheval. Léonard cite quelque part (F 69 V°) le livre IV du monde et des eaux ; par monde il entend le plus