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composée des juges les plus sévères, ceux enfin qui possédaient le plus de flair artistique. Parmi ceux qui furent choisis, il y avait en première ligne le dyak Sorok, ensuite Sennyson, le maire, Pylipko, vieux soldat en retraite, et enfin un certain Makohon, jadis bedeau de l’église brûlée, et qui était resté une espèce de suisse in partibus infidelium.

Le comité artistique se transporta en grande pompe dans la petite ville de Staromila, et, comme c’était justement jour de marché, la moitié du village s’y rendit avec lui.

L’enseigne de l’apothicaire exposée, bien en vue, dans la rue principale, obtint du premier coup un succès colossal.

Elle représentait un Esculape au crâne rose et dénudé, à la barbe hirsute, près duquel un serpent d’un bleu violent, tacheté de jaune et tirant une langue écarlate en forme de lance, était gracieusement tordu en huit.

Pendant toute la matinée, une foule de paysans ne cessa de stationner, bouche béante, devant le magasin, et c’est au point que le pharmacien, finalement impatienté de la persistance de ces gens. qui interceptaient la voie publique, les fit disperser sans cérémonie à grands coups de canne par ses aides.

Repoussé d’une façon aussi péremptoire, le comité artistique se retira néanmoins avec toute la dignité due à son caractère, mais son opinion était faite, et Pylipko, le soldat, critique sévère qui représentait dans sa commune le parti de l’opposition, déclara avec conviction que c’était tout à fait « superlatif !... »

Il s’agissait à présent d’aller examiner le second chef-d’œuvre, la Parabole du grain de sénevé.

L’église qui possédait cet objet précieux était située à quelques kilomètres.

A peine les juges se trouvèrent-ils en face de cette merveille de l’art, qu’ils demeurèrent frappes de mutisme, et alors seulement ils comprirent la profondeur des paroles de Sorok. L’enseigne de l’apothicaire, avait-il dit, est une bagatelle que Kurzanski a peinte pour se faire la main, mais celui qui n’a pas vu la Parabole du grain de sénevé n’a rien vu !

Le tableau représentait un Christ étendu sur le sol. De sa bouche sortait un arbre gigantesque à douze branches ; sur chacune d’elles était assis, assez mal en équilibre, un des douze apôtres. Au bas de l’arbre quelques personnes qui représentaient la foule regardaient en l’air, et paraissaient se demander lequel des douze tomberait le premier. Les têtes des apôtres étaient grosses comme des citrouilles et rouges comme des pommes d’api ; elles étaient entourées d’une auréole jaune qui ressemblait assez à un petit capuchon. Leurs pieds, très menus, pendaient de dessous leurs robes,