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Restauration et ramené l’illusion de la durée : c’est M. de Villèle, dont les Mémoires récemment publiés sont comme un testament divulgué plus de soixante ans après son passage au pouvoir, près de quarante ans après sa mort. Ces Mémoires, si ce sont des mémoires, ces lettres ou ces notes recueillies aujourd’hui n’ont pas sans doute l’accent et la couleur des Mémoires d’un Chateaubriand, ou la flamme et l’émotion des lettres d’un de Serre. Ils forment une sorte de journal intime et familier des luttes de partis, des crises de ministères ou de parlemens, des impressions personnelles d’un témoin et d’un acteur de la vie publique d’autrefois. Ils accentuent l’originalité, et ils expliquent la fortune, d’un politique qui n’a été ni un privilégié des vieilles aristocraties, ni un parvenu des faveurs de cour, ni un grand séducteur de l’esprit ou de l’éloquence, — qui, dans son double rôle de chef d’opposition et de chef de gouvernement, a été tout simplement ce qu’on pourrait appeler l’homme d’affaires de la monarchie restaurée.


I

Rien certes de plus dramatique et de plus saisissant que ces crises de 1814-1815 où, dans la mêlée des invasions, des coalitions ennemies, des factions intérieures, les destinées de la France se décident par une série de coups de foudre. La première restauration est un essai interrompu par cette prodigieuse aventure du retour de l’île d’Elbe qui resterait une vision légendaire si le pays ne l’avait si durement payée de Waterloo, d’une invasion nouvelle, de l’aggravation des rançons de la guerre. La seconde restauration est l’explosion de tous les ressentimens, de toutes les passions de partis, de toutes les colères contre la grande défection du 20 mars et l’empire des cent jours. Au premier moment, à la vérité, tout est nouveau, incohérent et violent dans cette transition qui s’accomplit sous le regard des armées étrangères. A travers toutes les confusions, cependant, la vraie question ne tarde pas à se dégager et à se préciser. Que sera définitivement cette Restauration française ? D’un côté commence à se dessiner la politique libérale, modérée, qui en est encore pour ainsi dire à se chercher elle-même, qui va être bientôt représentée par le roi Louis XVIII, par le duc de Richelieu, par les Lainé, les Decazes, les de Serre, les Pasquier, les Royer-Collard, les Louis, les Gouvion Saint-Cyr ; d’un autre côté s’agite l’esprit de réaction ou d’ancien régime, qui a éclaté dès les premières heures, qui a ses représentans autour du roi, dans la famille même du roi et dans toute cette société royaliste renaissante, qui se concentre particulièrement dans une chambre nouvelle sortie